Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
d’Oxford et de Cambridge auraient dit qu’ils ne valaient pas, en termes d’esthétisme, celui qu’ils avaient quitté.
Mais, dans une Grande-Bretagne en guerre, surtout au fil des ans, avec le rationnement, les fenêtres condamnées, le black- out, les peintures écaillées, les couleurs mornes et passées et, dans nombre de villes, la recrudescence des bombardements, Bletchley Park et d’innombrables maisons de campagne du même genre réquisitionnées offraient sans doute un peu de répit psychologique. Un certain nombre d’anciens de Bletchley se rappellent très certainement que, l’été, les jardins de la propriété et la campagne environnante arboraient des couleurs vives et des atours séduisants.
Lorsque l’afflux de recrues s’intensifiait, le manoir et son parc semblaient exprimer toute cette vie trépidante. Un ancien des lieux se souvient que « c’était un village confiné dans un parc […] d’innombrables personnes allant et venant par l’entrée principale, flânant, discutant et restant assis à ne rien faire. Ça grouillait de monde, il y avait toujours du mouvement, sans cesse des allées et venues. Ça me faisait penser à l’agitation d’une gare terminus de Londres ».
Cette gare terminus était animée 24 heures sur 24. Nigel de Grey observait que les jeunes recrues en provenance d’Oxford et Cambridge « débarquaient un peu comme des pigeons voyageurs, d’une manière inopinée ». Au tout début des années quarante, lorsque le personnel est passé de quelques centaines à plusieurs milliers, les gens entraient et sortaient par l’entrée principale à toute heure du jour et de la nuit, en raison du travail posté.
À l’intérieur de l’enceinte, certains signes rappelaient aux jeunes recrues qu’elles n’étaient pas dans un lieu de parlotte et les exhortaient à faire preuve en permanence de la plus grande discrétion. Mais, l’été, à l’extérieur de l’enceinte et à distance raisonnable des alignements de murs en brique de la ville, la verte campagne faisait régner autour du manoir une sorte d’innocence édénique. Les hommes et les femmes partaient faire de longues balades à bicyclette sur des chemins peu fréquentés. C’était bien entendu l’Angleterre d’avant les autoroutes. Et, pendant la guerre, le rationnement de l’essence restreignait beaucoup la circulation des véhicules motorisés. « À Bletchley Park, très peu de personnes avaient une voiture, dit John Herivel. Seulement les pontes. »
Après leur journée de travail, les jeunes cryptanalystes enfourchaient donc leur bicyclette pour rejoindre leur logement ou simplement prendre l’air dans les environs. Ils se retrouvaient en quelques minutes au beau milieu d’une campagne que nous ne reconnaîtrions pas de nos jours.
Les champs demeuraient à taille humaine, contrairement aux vastes plaines de l’agriculture industrielle si caractéristiques du paysage anglais moderne. Et, en dehors du bourdonnement des insectes, du meuglement du bétail, des cloches des églises et du sifflement des trains que l’on entendait au loin, les chemins offraient une tranquillité qu’il est aujourd’hui difficile de trouver dans un rayon de 150 kilomètres autour de Londres.
Je me suis acheté un vélo d’occasion, dit Sheila Lawn. Sa propriétaire, qui travaillait au Park, avait beau être très intelligente, elle n’arrivait pas à monter dessus. Je l’ai donc acheté. C’était un vélo très robuste. Je l’ai appelé Griselda. Je l’ai gardé pendant des années. Et, quand j’étais en repos et que je n’avais aucun rendez-vous ou rien de prévu, je faisais du vélo.
Bien sûr, la campagne autour de Bletchley n’avait rien à voir avec celle des Highlands. Ça changeait du tout ou tout, mais j’adorais.
Comme nous pouvons le constater, ces jeunes recrues venaient de tout le pays et beaucoup sortaient pour la première fois de l’endroit où ils vivaient. Le manoir de Bletchley Park et les terres crayeuses des alentours offraient curieusement une toile de fond apaisante par rapport à la mission d’une gravité solennelle que l’on allait accomplir entre ces murs.
« J’étais passionné d’histoire naturelle », se souvient le cryptanalyste du baraquement 6 Oliver Lawn. Cette discipline devint rapidement un loisir de prédilection à Bletchley. « On observait les oiseaux et on partait à la chasse aux papillons. » La briqueterie située en
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