Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
norvégienne. Ils en apprirent beaucoup sur l’organisation et l’approvisionnement. Ces informations n’avaient pas une utilité immédiate, mais le simple fait de pouvoir récupérer des données était en soi vital. En outre, la vitesse de déchiffrement des messages était bien plus élevée qu’auparavant, parfois dans l’heure de leur réception par une station d’écoute.
Il demeurait cependant un écueil : personne à Bletchley Park ou dans les services gouvernementaux ne savait précisément quoi faire de toutes ces informations. Personne, semble-t-il, n’était « équipé pour exploiter avec efficacité les contenus déchiffrés ». Cela signifiait que personne ne savait sous quelle forme transmettre ces données au commandement britannique sur le terrain, tout comme on ignorait comment lui révéler leur signification sans divulguer précisément leur source.
La question de la sécurité était déjà primordiale. Fallait-il révéler aux hautes sphères de l’autorité militaire la provenance de ce précieux filon de renseignements ? Le problème, c’était que plus le nombre de personnes à être au courant était élevé, plus les Allemands risquaient de l’apprendre également.
Cette tension transparaît dans une lettre rédigée par Alistair Denniston au capitaine de frégate Saunders de la Royal Navy. Elle commence par « Mon cher Saunders, je vais parler sans prendre de gants », puis se poursuit ainsi :
J’aimerais qu’il soit bien clair que toutes les questions touchant à la cryptographie ne doivent être gérées que par la GC&CS.
Pour prendre des exemples précis :
1) Pourquoi a-t-il fallu que [vos forces] copient le morceau de code de l’armée de l’air allemande récupéré à Scapa Flow ? C’était un morceau du code utilisé par l’armée de l’air allemande qu’avait craqué la Section air de la GC&CS. Il aurait dû être pris en charge par des experts pour révéler toute sa valeur. On en a perdu une partie car il a été traité à la hâte et fourré dans de minuscules enveloppes.
2) Pourquoi les carnets des prisonniers ne sont-ils pas immédiatement envoyés à la GC&CS pour un premier examen ?
La note se poursuit ainsi, sur un ton plutôt sec :
Si votre personnel n’est pas occupé à temps plein par sa mission, cela pourrait signifier que vous êtes en sureffectif… On se demande ici, dans l’éventualité où la machine Enigma serait capturée, pourquoi il faudrait que vous considériez de votre devoir de l’examiner avant qu’elle ne parvienne à Knox et à son équipe qualifiée.
Une telle situation deviendrait réellement intolérable. J’espère de tout cœur que vous vous efforcerez de vous en tenir à la mission que vous accomplissez si remarquablement, sans vous immiscer dans les affaires des autres, qui sont manifestement mieux qualifiés pour les mener à bien. Nous avons les moyens de mettre en place une coopération des plus efficaces et je refuse qu’elle soit mise à mal par des sentiments personnels.
Bien que le Park ait fait de l’excellent travail en craquant le code jaune, le fait est qu’aucun des renseignements récoltés ne servit sous quelque forme que ce soit lors de la campagne de Norvège.
À une époque où les codes étaient tout juste cassés « à la main », il régnait déjà une certaine résistance chez les officiers de haut rang qui n’étaient pas dans la confidence. Ce flot d’informations apparemment miraculeux les inquiétait et ils se demandaient si ces données étaient dignes de confiance. L’existence de Bletchley n’ayant été révélée à personne, surtout dans les premiers mois de la guerre, les chefs militaires pensaient que ces informations émanaient non pas des cryptanalystes mais des espions en mission, dont le manque de fiabilité était notoire, malgré une utilité certaine. Lorsque le conflit s’intensifia, il arriva que de précieux indices recueillis à Bletchley soient écartés par des officiers supérieurs jugeant ces informations glanées par des sources indignes de confiance.
« La stratégie allemande, écrit le cryptanalyste Jack Copeland, consistait à entraîner la Grande-Bretagne vers la défaite en coulant les navires marchands si vitaux pour elle, car ils acheminaient depuis l’Amérique du Nord, par l’Atlantique, de la nourriture, des matières premières et d’autres produits. » Pendant toute l’année 1940, ces « meutes »
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