Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
remarques les plus acerbes pour la fin :
Il me reste deux choses à dire. Pour ce qui est de mon droit de critique, je vous rappellerai seulement que je suis cryptographe en chef. À la fin de la Grande Guerre, le commandant Denniston (avec une équipe de 30 personnes environ) s’occupait de l’un des codes de la flotte allemande et moi d’un autre (avec une équipe de 3 personnes). Si je me souviens bien, à la fin de la guerre, la plus petite unité fournissait en masse des informations précises tandis que la plus grande demeurait silencieuse… Je dois dire qu’aucun des amis du commandant Denniston, si tant est qu’ils aient existé, ne s’attendait (et ses nombreux ennemis ne le craignaient pas non plus), une fois la guerre déclarée, à ce que de telles responsabilités soient confiées à une personne à ce point incapable.
Ce document figure aujourd’hui dans les archives et rien n’indique qu’il a été envoyé ou, s’il a été transmis, comment il a été perçu. Knox est resté à Bletchley Park jusqu’à ce que sa santé le contraigne à partir. Le fils d’Alistair Denniston, Robin, devait par la suite brillamment minimiser la relation tendue entre Knox et Denniston : « Dilly Knox, le plus brillant de tous [les membres du personnel] n’avait pas un sens du management aussi collégial. » Il dit aussi que Knox était « difficile à gérer ».
En raison de la pression ambiante, il était cependant peut-être inévitable que les frustrations s’expriment de manière volcanique. Ce qu’il y a de fascinant, c’est que l’encadrement semble être parvenu à ne pas s’en prendre aux jeunes gens travaillant pour eux. Rappelons-nous tout de même qu’avec sa propre équipe de filles, Knox était plutôt du genre généreux et plein d’égards. En août 1940, il se souciait de l’argent qu’elles gagnaient et écrivit ceci dans une note :
Mlle Lever [désormais Mme Batey] est la plus compétente et utile, et si des augmentations de salaire sont prévues, son nom doit apparaître sur la liste des bénéficiaires…
Mlle M. Rock n’est pas à l’échelon qu’elle mérite. C’est le quatrième ou cinquième meilleur élément de tout le personnel travaillant sur Enigma et elle est aussi utile que certains “professeurs”. Je recommande qu’on lui verse le plus haut salaire possible pour quelqu’un de son ancienneté.
Ce qui est stupéfiant concernant cette avancée capitale et d’autres réalisées grâce à Colossus, successeur des bombes, c’est qu’elles aient vu le jour dans des circonstances incroyablement difficiles.
Entre septembre 1939 et le printemps 1940, Bletchley Park avait réalisé une montée en puissance tranquille. Mais, une fois la Grande-Bretagne totalement impliquée dans le conflit, ce luxe disparut. De la nécessité d’anticiper les bombardements aux traques des convois en Atlantique Nord par les U-Boote, les informations fournies par Bletchley étaient primordiales et les exigences en la matière extraordinaires. Comment les jeunes casseurs de codes pouvaient-ils donc gérer individuellement le fardeau de l’attente placée en eux ? Un certain couple de Bletchley prenait la chose avec un sang-froid admirable. Comme le dit Mavis Batey :
À l’époque, on prenait les choses très naturellement […] on nous donnait le message, avec l’instruction « traitement de toute urgence », qui signifiait que tout le monde était sur le pont et ne se consacrait qu’à ça. Il s’agissait d’une invasion.
Mais nous n’avions aucune idée de l’endroit où se passait l’invasion, jusqu’à ce que nous allumions la radio le matin et entendions que nous avions débarqué en Afrique du Nord. Et nous pensions alors « Tiens, c’est sur ça qu’on travaillait, non ? » Mais nous ne nous disions jamais « on est bon » ou une chose de ce genre.
Les autorités en étaient parfaitement conscientes. Imaginez simplement que la tâche à exécuter soit une grille de mots croisés. Si une personne est sur votre dos et vous dit « Tu as cinq minutes », ça ne va pas vraiment vous aider.
S’énerver aurait été contreproductif, précise son mari Keith. Et vous vous habituiez. Lorsque vous vous êtes déjà retrouvé dans cette situation, vous êtes moins stressé. J’oserais dire que si vous vous étiez laissé tomber sur votre chaise et que l’on vous avait dit qu’une guerre se jouait, ça vous aurait mis
Weitere Kostenlose Bücher