Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
d’U-Boote sont parvenues à envoyer par le fond des centaines de navires. Un autre tournant se produisit pour Bletchley en février 1940. Un U-Boot allemand, l’U33, fut détecté en train de poser des mines à l’entrée de l’estuaire de la Clyde, dans ses eaux sombres et glacées. Le dragueur de mines HMS Gleaner repéra l’intrus et largua des grenades sous-marines qui le forcèrent à faire surface. L’équipage du sous-marin, coincé dans les eaux glacées, fut contraint de se rendre. À bord du bâtiment se trouvait une machine Enigma et l’un des sous-mariniers avait trois rotors dans sa poche.
Bletchley découvrit ainsi que l’Enigma de la marine comprenait huit rotors. Les casseurs de codes du baraquement 8, dirigés par Alan Turing, s’aperçurent qu’ils étaient confrontés à plusieurs problèmes colossaux. Les opérateurs Enigma de la marine allemande étaient plus disciplinés que leurs homologues de l’armée de terre, avec une tendance à commettre moins d’erreurs (indicatifs utilisés plusieurs fois, emploi, en guise de test, des prénoms de leur petite amie, autant d’éléments précieux pour les cryptanalystes). Ensuite, compte tenu de la dernière découverte, les combinaisons potentielles pour le paramétrage des rotors, qui se comptaient déjà en millions, augmentaient donc énormément.
Il y eut une autre complication. L’expéditeur chiffrait chaque message, puis le cryptait de nouveau, la première fois avec la machine Enigma et la seconde à la main, à l’aide de tableaux de digrammes. Ces tableaux présentaient des substitutions de paires de lettres et étaient changés quotidiennement en respectant un calendrier très strict. Craquer ce principe allait s’avérer le plus grand défi jamais relevé par le Park.
Bien entendu, les autres baraquements devaient aussi régulièrement parvenir à craquer les clés Enigma. Si le travail évoluait avec minutie grâce à la reprise des « bombas » polonaises, machines capables de vérifier très rapidement des centaines de combinaisons, une grande pression continuait de peser sur l’encadrement. Cette tension grandissante est illustrée par le brouillon d’une longue lettre de démission pleine d’émotion rédigée par Dilly Knox au printemps 1940.
Knox avait des problèmes de santé, qui expliquent peut-être la colère transparaissant dans son courrier. Il y expliquait, entre autres choses, son souhait de partir, motivé par un affront subi avant le début de la guerre. Si cette lettre ne dit pas qui devait en être le destinataire, c’était visiblement une personne située au-dessus du directeur de Bletchley Park. Eu égard à son amitié de longue date avec Alistair Denniston, il livrait étonnamment sans retenue une vision de la compétence de ce dernier.
Aux yeux du commandant Denniston, la recherche est carrément accessoire, car tout le personnel compétent est constamment snobé et réprimandé et il est difficile d’obtenir beaucoup en termes d’argent, d’effectif ou d’hébergement… Lorsqu’un code est craqué, le commandant Denniston tient à présenter à ses supérieurs des sections bien fournies, dont il ne comprend absolument rien au travail et dont il s’attribue les succès qui ont failli être ruinés par ses erreurs dans l’encadrement de ses équipes.
Pendant ce temps-là, M. Turing et moi-même menons des recherches vitales sur deux fronts, avec pour seul effectif M. Twinn et trois employées.
Les derniers paragraphes de la lettre de Knox traduisent une colère surprenante :
La semaine dernière, le commandant Denniston a prévu un système dans lequel M. Turing, s’il parvenait à trouver des méthodes pour déchiffrer le trafic naval allemand, devrait travailler « sous les ordres de M. Birch ». Cette suggestion, qui confronterait la Section Enigma aux hiérophanies mystiques d’un profane, est totalement absurde et irréalisable, violant tous les précédents accords et arrangements. Je ne pourrai alors plus continuer de travailler dans votre service avec l’auteur de cette suggestion.
Je pense que Bletchley Park devrait être un bureau de cryptographie fournissant simplement ses résultats directement aux différents ministères. Nous sommes actuellement encombrés d’ « officiers de renseignement » qui malmènent et dissimulent nos résultats et ne font aucun effort pour vérifier leurs corrections arbitraires.
Knox gardait encore les
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