Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
spécialiste de la logique mathématique qui découvrait la cryptologie. » À l’époque, il ignorait que Turing avait tranquillement fait des avancées cryptographiques stupéfiantes dans son coin. Le contingent polonais basé à Paris, malgré ses maigres ressources, n’en demeurait pas moins d’une grande utilité pour l’opération menée à Bletchley.
Ce fut très peu de temps après le retour de Turing à Bletchley que se produisit la découverte capitale. L’ancien de la maison Frank Lucas se souvient : « Par un matin neigeux de janvier 1940, le premier déchiffrement d’Enigma eut lieu dans une petite pièce austère en bois ne comptant qu’une table et trois chaises. Nous, les quatre pensionnaires du baraquement 3, n’avions aucune idée de ce que nous nous apprêtions à dévoiler. »
En dehors de leur nature factuelle, ces contenus déchiffrés produisirent un sursaut psychologique important. Pendant la drôle de guerre, la tension était palpable. Personne n’était encore parvenu à stopper l’armée allemande. Tout le monde savait que les ambitions territoriales nazies étaient pratiquement sans limite. Outre ses démarches hâtives pour réarmer et entraîner ses troupes, la Grande-Bretagne livrait une lutte acharnée pour prendre une longueur d’avance en matière de renseignement. Cette première effraction dans le code militaire d’une machine Enigma prétendument inviolable représentait un soulagement.
La forte pression permanente fut peut-être à l’origine d’une dispute retentissante entre Dilly Knox et Alistair Denniston. Pour des raisons de sécurité, Denniston avait laissé à contrecœur Alan Turing se rendre à Paris avec les fiches Zygalski. Pour sa part, Knox estimait que l’assistance aux cryptographes français et polonais constituait une promesse que le Park était tenu de respecter par honneur. La dispute atteignit son paroxysme quand Knox écrivit à Denniston cette lettre virulente qui commençait par « Mon cher Alistair » :
Il faut absolument transmettre [les statistiques] […] J’en suis tellement persuadé que si elles ne partent pas d’ici mercredi soir, je donnerai ma démission.
Je ne veux vraiment pas aller à Paris mais, si vous ne trouvez personne d’autre, je suis entièrement disponible en ce moment.
Bien entendu, Turing se rendit à Paris et Denniston se soumit à l’opinion de Knox. Mais d’autres accès de colère et manifestations de ressentiment devaient éclater entre les deux vieux amis.
La pression ne devait que s’amplifier. Ce fut Gordon Welchman qui prit conscience que, même au tout début de l’aventure, Bletchley devrait opter pour ce qu’on pouvait appeler la « fabrication en série », plus particulièrement les premières fois où l’on craqua régulièrement et quotidiennement les clés Enigma. L’institution aurait en effet accès chaque jour à des milliers de messages interceptés et il faudrait donc accroître significativement les effectifs de Bletchley Park. Ce fut aussi Gordon Welchman, et non Dilly Knox, qui fit des observations à Alistair Denniston et son adjoint Edward Travis. Welchman aidait également Alan Turing à la conception de ses bombes cryptographiques. C’était indéniablement un jeune homme d’une énergie et d’un enthousiasme exceptionnels.
Les premiers mois de la guerre avaient offert aux opérateurs de Bletchley une bonne longueur d’avance. Alors que les combats sur terre n’avaient pas encore démarré, en mer, on avait déjà ouvert les hostilités, offrant ainsi aux casseurs de codes une période pour montrer leurs connaissances du trafic allemand. « L’exercice a été très précieux, car nous avons pu nous faire la main, dit un cryptologue. Et ça nous a fourni une batterie d’éléments dont nous avons pu nous servir lorsque la guerre a vraiment démarré. »
Bletchley Park, et par extension toute la machine militaire, comptait sur l’inspiration humaine, qui se matérialisa dans des circonstances extraordinaires.
9
1940 : inspiration et sérieux
Par une semaine de février 1940 aux nuits humides et glaciales, et alors que les Allemands avaient encore modifié les paramètres de leurs machines Enigma militaires (quelques jours précédant l’arrivée des bombes de Turing), le jeune John Herivel se trouvait dans le salon de son logement, comme d’habitude devant le feu, « l’esprit toujours tourné vers les messages chiffrés, comme il
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