Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
d’un Sherlock Holmes, et, devant les yeux ébahis de la jeune Aileen Clayton, il commença à reconstituer, à partir de vieux tickets et d’un paquet de cigarettes, les mouvements exacts du pilote sur le continent avant sa mission.
Ce n’était pas seulement un exercice intellectuel. Plus on pouvait glaner d’informations, plus la connaissance que les interrogateurs auraient de ses allées et venues surprendrait le pilote et pourrait l’amener à révéler d’autres informations.
« Aujourd’hui, dit Aileen Clayton, nous sommes blasés de toutes les histoires de détective que nous voyons si souvent à la télévision. Mais à l’époque, cela me fascinait de voir comment, à partir d’éléments si minces, on pouvait obtenir beaucoup d’informations. »
Par conséquent, si la pression était manifestement très grande, il n’en demeurait pas moins que la chasse était ouverte. Et, pour d’autres pensionnaires de Bletchley Park, c’était précisément la raison pour laquelle ils ne semblaient pas facilement se laisser perturber. Par exemple, Andrew Hodges, le biographe d’Alan Turing, fournit un éclairage fascinant sur la façon dont nombre d’« experts » considéraient cette dimension des activités liées à la guerre :
Il convient de dire que personne ne prétendait à un quelconque héroïsme à Bletchley. Non seulement le renseignement représentait traditionnellement le secteur le plus huppé du travail en temps de guerre et il était tacitement convenu que chacun devait remplir son rôle avec le plus de discrétion possible, mais, au niveau supérieur, le décryptage devenait une tâche des plus attrayantes.
Le fait d’être payé, ou sinon récompensé, paraissait déjà en soi une curiosité. C’était un peu comme des vacances par rapport à la profession de mathématicien, dans la mesure où le travail exigé s’apparentait davantage à une application ingénieuse d’idées élémentaires qu’à une victoire sur les limites de la connaissance scientifique. Les intéressés avaient l’impression de faire une cure de jeux et de devinettes à la différence qu’à Bletchley personne ne savait si des solutions existaient.
Pour les jeunes casseurs de codes qui travaillaient au sein de départements hermétiquement cloisonnés, un autre facteur rendait leur mission quelque peu abstraite. Josh Cooper, pour une fois enclin à s’épancher, afin de remonter le moral des troupes, complimenta un jour le travail d’un jeune cryptanalyste en disant qu’« il contribuait à sauver des vies en Atlantique ». Mais, généralement, pratiquement aucune information ne filtrait. « Ce que l’on ignorait, c’était l’effet que cela allait avoir sur la guerre, dit Oliver Lawn. Vous voyez, nous n’en savions pas plus que ce qui était publié dans les bulletins d’actualité, lesquels étaient bien évidemment censurés. » Gwen Watkins se souvient :
La seule fois où j’ai réalisé ce que nous faisions, c’est quand on m’a montré un carnet. Il venait d’être récupéré dans un avion ennemi abattu et avait été immédiatement rapatrié à Bletchley. Bien entendu, à l’époque, nous n’avions pas d’enveloppes en plastique ou de contenants de ce genre et la chose m’a été remise comme ça. J’ai constaté avec horreur qu’il y avait des traces de sang dessus. Sur les bords, le sang était séché, mais au milieu, il était encore humide.
J’ai alors pris conscience de l’existence de cet Allemand. Cet aviateur allemand en sang et encore en train de saigner pendant que je déchiffrais le message. Nous prenions alors la mesure de la réalité de la guerre.
Mais ces moments étaient largement compensés par l’impression de travailler inlassablement dans une bulle, sentiment renforcé par la nature du travail en équipes institué. Les anciens se souviennent qu’au moment de démarrer une rotation, une pile de messages interceptés à craquer ou traduire les attendait.
À mesure que la guerre progressait, des sources de friction et de stress au sein de l’organisation proprement dite du Park se firent jour et furent ressenties par tout le personnel. Mais, avant cela, Bletchley Park fut à l’origine d’une découverte technologique magnifique et cruciale, les « bombes ».
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1940 : l’arrivée des « bombes »
L’agent des services secrets Frederick Winterbotham a décrit la bombe comme « une sorte de déesse asiatique
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