Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
s’arrêtèrent en même temps. Dans un silence rétabli, M. Freeborn [le responsable de la Section Hollerith] donna en préambule quelques explications… À la fin des démonstrations et une fois le visiteur orienté vers la sortie, toutes les machines se remirent en branle. Mais on les stoppa immédiatement lorsque Churchill s’arrêta sur le seuil pour faire ses adieux.
La visite amena aussi Churchill dans le baraquement 8, où il rencontra Alan Turing. Selon son biographe Andrew Hodges, Turing était « très nerveux ».
Le Premier ministre s’adressa ensuite brièvement, devant le baraquement 6, à un groupe de casseurs de codes : « Vous avez tous l’air très innocents. On n’imaginerait pas que vous connaissez des secrets. » Il eut alors cette phrase célèbre pour décrire l’assistance, « les poules aux œufs d’or qui ne caquètent jamais ».
Lors d’une conférence donnée au Sidney Sussex College, en 2005, John Herivel semblait un peu moins romantique et légèrement plus lucide que Gordon Welchman à propos de cet épisode. Néanmoins, son récit traduit un peu l’aura du leader Churchill :
Le bruit courut jusqu’au baraquement 6 qu’il arrivait et on dit à ceux de la salle des machines de se tenir debout face à leur machine. À cette époque, les gens étaient plus dociles. Nous avons donc fait ce que l’on nous demandait et avons patienté pendant un moment, qui nous parut durer une éternité.
On entendit alors au loin des échos de voix, dont le volume sonore s’amplifia de plus en plus juste derrière moi, avant de se calmer quand Welchman dit : « Sir, je souhaiterais vous présenter John Herivel, à qui l’on doit d’avoir craqué l’Enigma allemande l’an dernier. »
En entendant mon nom prononcé par Welchman d’une façon totalement inattendue, je me suis tourné vers la droite, pour me retrouver yeux dans les yeux avec le Premier ministre ! Nous nous sommes regardés en silence pendant quelques instants, avant qu’il ne poursuive sa route… Si j’avais eu la présence d’esprit, mais ce ne fut pas le cas, je lui aurais dit que l’Enigma avait été craquée très peu de temps après son accession au poste de Premier ministre.
On sent une légitime fierté, amplifiée par ce lien soudain avec ce leader presque mythique, présent en chair et en os. Mais Herivel brossa un portrait plus sobre et réaliste du personnage aux mains desquelles la Grande-Bretagne avait confié son destin lorsqu’il aborda le discours prononcé devant le baraquement 6 :
Il se plaça rapidement sur le monticule où il demeura inconfortablement pendant un moment. Ce jour-là, balayé par un vent glacial, il faisait désagréablement sombre. Se tenait devant nous un homme assez vieux à l’allure plutôt frêle, un tantinet voûté, les cheveux fins et clairsemés, vêtu d’un costume noir à fines rayures, n’affichant aucune bravade, sans son grand chapeau noir et son cigare. Puis il prit très brièvement la parole, animé d’une émotion très palpable… Ce fut le moment le plus exquis que nous ayons passé à Bletchley.
On raconte que lorsque Churchill fut sur le point de partir en voiture, il abaissa sa vitre et dit à Alistair Denniston : « À propos du recrutement, je sais que je vous ai dit de remuer ciel et terre, mais ce n’était pas la peine de prendre ça au pied de la lettre. »
Tout juste un mois plus tard, Welchman, Alan Turing, Hugh Alexander et Stuart Milner-Barry, peut-être enhardis par l’immense honneur d’avoir reçu cette visite, écrivirent directement au Premier ministre afin de demander qu’on leur affecte plus de monde. Les deux premières années de guerre, Welchman, de son propre aveu, et l’air réjoui, n’avait eu absolument aucun problème de recrutement. « Sans vergogne » (pour reprendre son expression), il avait entrepris de recruter ses pairs et brillants collègues dans les meilleures universités et, avec eux, une coterie de leurs étudiants les plus prometteurs. Cependant, comme il devait le souligner par la suite :
Ce genre de pillage devait diminuer en 1941. Le gouvernement décida que l’emploi des meilleurs cerveaux du pays parmi les jeunes devait être réglementé. C. P. Snow, du Christ’s College de l’université de Cambridge, que j’avais connu avant la guerre […] fut chargé de l’affectation de tous les scientifiques et mathématiciens. J’ai ensuite dû recruter
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