Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
correspondait à la réalisation d’un désir :
Winston Churchill en personne vint nous rendre visite. Travis lui fit découvrir les nombreuses activités menées à Bletchley Park. Le circuit comprenait un passage par mon bureau et on m’avait demandé de préparer un discours d’une dizaine de minutes. Lorsque la troupe est arrivée, avec un peu de retard, Travis a murmuré, assez fort tout de même, « Cinq minutes, Welchman ». J’ai attaqué par le préambule que j’avais préparé, à savoir « Je vais traiter trois questions », puis j’ai abordé les deux premiers points plus rapidement que prévu.
Travis dit alors : « C’est bon, Welchman », sur quoi Winston, qui s’amusait bien, me fit un bon vieux clin d’œil et dit : « Je crois qu’il y avait un troisième point, Welchman. »
Winston, vraiment ! Sans parler du « bon vieux » clin d’œil, qui plaçait en apparence les deux hommes sur le même plan, un cran au-dessus d’un Travis trop zélé. Welchman ajoute avec à-propos : « Nous avons eu la chance d’avoir, en Winston Churchill, un leader national stimulant, dont le talent oratoire faisait merveille. »
La relation de Churchill avec Bletchley Park n’en demeurait pas moins de la plus haute importance. Il ne s’agissait pas seulement que ce grand monsieur fournisse aux casseurs de codes des ressources supplémentaires en termes d’équipement ou de personnel, voire qu’il leur offre un court de tennis flambant neuf. C’était une question de respect, un respect fondamental dont le Park ne bénéficiait pas forcément, à la vue de divers témoignages, de la part des autres acteurs de Whitehall ou des services de renseignement.
Churchill était déjà fasciné par la cryptographie et l’univers du renseignement avant la Première Guerre mondiale. Il avait vu à l’œuvre des stratagèmes d’espionnage au gré d’exploits de jeunesse réalisés aux quatre coins de l’Empire. Il avait contribué à la mise en place de la division de cryptographie du Bureau 40, au sein de l’Amirauté. Dans les années 1920, il s’intéressa vivement aux agents de renseignement qui parvinrent à glaner la plupart des informations sur les Soviétiques.
En devenant enfin Premier ministre en mai 1940, deux semaines après que Bletchley Park eut craqué les codes Enigma de l’armée de l’air allemande, Churchill perçut donc fort naturellement le caractère vital de l’opération. Dès son arrivée à Downing Street, il insista pour qu’on lui envoie quotidiennement une boîte de couleur chamois remplie de messages interceptés, qui lui était parfois remise personnellement par « C », le chef du SIS, Sir Stewart Menzies. Churchill gardait la clé de cette boîte accrochée à son porte-clés.
Seule une poignée de personnes, civils et militaires, étaient autorisées à connaître la provenance de ces messages déchiffrés. Et lorsqu’elles devaient y faire référence, elles employaient le mystérieux terme de « Boniface ». Churchill appelait ces lots de renseignements ses « œufs », référence aux « poules [de Bletchley] qui ne caquetaient jamais ». Pour tous les autres, généraux et ministres, la source était en fait des espions imaginaires. C’est seulement en 1941 que les renseignements obtenus grâce aux messages déchiffrés prirent le nom d’« Ultra ».
Tout ce secret pouvait s’avérer une source de vexation pour tous les autres services du gouvernement, tels que le ministère des Affaires étrangères, et les huiles en uniforme. Le Premier ministre « avait des chances de leur sortir des bribes d’informations brutes dont ils n’avaient jamais entendu parler ». Ajoutez à cette irritation le fait que, depuis le début de la guerre, certains, situés dans les hautes sphères du commandement militaire, doutaient que Bletchley Park puisse fournir des informations sérieuses, exploitables et utiles. Ces tensions s’accrurent lorsque le Park vit s’étendre ses domaines de compétence et commença à produire du renseignement, et non plus simplement des messages déchiffrés.
Le jour de cette visite inoubliable, en septembre 1941, Churchill inspecta également l’installation des machines Hollerith, dans le baraquement 7. Un témoin fébrile en fit le récit suivant :
Le visiteur assista à une scène d’intense activité, à savoir 45 opérateurs en action pour autant de machines. Puis toutes les machines
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