Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
la guerre à Singapour. »
L’amour a permis de surmonter bien des obstacles à Bletchley. Le cryptanalyste John Cohen se souvient : « Je me suis pris d’amitié pour une fille dont j’ai découvert avec surprise qu’elle était fille de comtesse. En tant que juif de la classe moyenne, ce n’était pas le genre de personne que je côtoyais habituellement. Mais, à Bletchley, des individus de tous les horizons se rencontraient. Avec la danse et les fêtes, toutes sortes de gens se côtoyaient et nous nous amusions beaucoup. »
Une autre histoire d’amour marquante, qui se solda aussi par un mariage, fut celle de Shaun Wylie et de la Wren Odette Murray, qui travaillaient tous deux au sein de la Newmanry. En 1943, leurs regards se croisèrent à travers une machine à la Heath Robinson. Ils se marièrent en 1944. Compte tenu du décor pas forcément romantique de cette énorme machine très bruyante, ce n’était pas gagné d’avance. Shaun et Odette purent heureusement passer des moments loin de leur machine. « Nous nous sommes surtout connus à Woburn Park, dit Odette Murray. L’abbaye est un bâtiment imposant dont la partie centrale est dotée d’un grand podium très en hauteur. J’avais l’habitude de l’escalader pour m’asseoir dessus et observer Shaun qui empruntait l’allée à bicyclette. »
Il semble également que l’amour était capable de sauter les baraquements. En repensant à sa période au sein du baraquement 8, Rolf Nokswith se rappelle que l’une de ses collègues, Hilary Brett-Smith, lui fit un résumé de l’attaque du Bismarck et de l’indice décelé au Park par un certain Harry Hinsley. Hilary et Hinsley devaient convoler par la suite en justes noces.
Il se forma un couple anglo-américain en la personne de l’officier Robert M. Slusser et du lieutenant de la WAAF Elizabeth Burberry. Elle était affectée au baraquement 3 et avait demandé sa mutation juste avant l’arrivée de Slusser. Ils se rencontrèrent, tombèrent amoureux et elle renonça à sa demande. Ce couple heureux de Bletchley ne perdit pas de temps. Ils se marièrent le 27 juin 1944, peu de temps après le jour J. Le 10 avril 1945 vint au monde leur fille Elizabeth, une enfant de Bletchley Park.
Dans le genre bohème, le cryptanalyste et poète F. T. Prince rencontra lui aussi sa future femme Elizabeth Bush au Park tandis que le poète Henry Reed fit la connaissance de Michael Ramsbotham. Dans le même temps, l’historien Roland Oliver fit la cour à Caroline Linehan.
La relation la plus poignante de Bletchley Park, pour ne pas dire la plus inattendue, concerne peut-être Alan Turing. À l’été 1940, une mathématicienne du nom de Joan Clarke (qui devint par la suite Murray), sortie de Cambridge, fut recrutée pour travailler dans le baraquement 8. Au printemps 1941, le système de bombes de Turing, les cartes perforées et la régularité mécanique du travail en équipe nécessaire pour opérer toute la procédure étaient au centre de la mission de Bletchley Park. Ce fut également au printemps 1941 que Turing et ses collègues du baraquement 8 réalisèrent les progrès déterminants pour craquer l’Enigma navale. Dans ce contexte d’une intensité extraordinaire naquit l’amitié entre Turing et Clarke.
Ils allèrent d’abord au cinéma. Ils passèrent plusieurs jours de congé ensemble. À l’époque, un tel comportement ne pouvait avoir qu’un seul dénouement. Malgré son orientation sexuelle, Turing se sentait contraint de rester en conformité avec cette norme sociale écrasante. Il demanda Joan en mariage avec une rapidité surprenante, après avoir pris soin de lui avouer, dans un élan de franchise qui lui correspondait si bien, que cela pourrait bien ne pas être un mariage idéal en raison de ce qu’il avait désigné sous les termes de « tendances homosexuelles ».
Ce genre de mœurs ne passait peut-être pas aussi bien qu’aujourd’hui, toujours est-il que cette confession ne sembla pas dissuader Joan et la relation tint bon. Il rencontra les parents de sa promise et elle, les siens. Une bague de fiançailles fut achetée. Selon Andrew Hodges, l’utilisation par Turing du terme « tendances » masquait une vérité sexuelle beaucoup plus active et, si Joan avait su ça, elle aurait été choquée.
Mais, encore une fois, c’était une époque où l’on ne parlait jamais de ce genre de choses et certainement pas en public ou dans les romans, les
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