Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

clé « Shark ». Et ils y parvinrent très peu de temps après. Après de sombres mois de cécité, l’opération Enigma navale reprenait de la vigueur.
    À Bletchley et Whitehall, le soulagement était immense. Le travail à abattre restait énorme, car garantir la survie de la Grande-Bretagne ne revenait pas à gagner la guerre. De plus, la Wehrmacht, présente dans toute l’Europe, aux frontières du continent, se montrait terriblement résistante. Cependant, si la plupart des gens de Bletchley Park ne connaissaient pas les détails des opérations, ils ressentaient l’influence que leur mission commençait à avoir sur le conflit. Ils avaient une petite idée de la façon dont la machine de guerre allemande, qui semblait carrément indestructible deux ans plus tôt, se trouvait maintenant harcelée sur divers flancs.
    Le gonflement des effectifs imposé par les tâches à accomplir conduisit inévitablement à la naissance d’un nombre croissant de relations amoureuses. C’est un aspect de la vie à Bletchley que les autorités auraient pu surveiller avec la plus grande vigilance, en raison du risque d’épanchement au gré des conversations. Mais l’histoire d’amour de bon nombre de couples put en fait s’épanouir sans difficulté.

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Les lois du désir
    C’est peut-être une question de génération, mais quand on pense aujourd’hui aux « histoires d’amour en temps de guerre », il nous vient à l’esprit deux images stéréotypées. La première est celle de jeunes filles ayant le coup de foudre pour des soldats américains beaux-parleurs, cigarette aux lèvres et mâchant du chewing-gum. La seconde est celle des angoisses en noir et blanc de Celia Johnson et Trevord Howard à la gare de Carnworth dans le film de David Lean Brève rencontre . En général, les Américains sont dépeints comme des individus vulgaires et très directs sur le plan sexuel, tandis que les Britanniques sont aussi refoulés que le laisse penser leur flegme caractéristique.
    Ces clichés n’ont bien entendu pas la moindre valeur, mais il est intéressant d’étudier le gouffre qui s’est creusé entre la génération ayant connu la guerre et la nôtre. La pudeur exprimée dans Brève rencontre est peut-être un peu exagérée (elle l’est sans aucun doute si l’on se reporte à de nombreux récits de l’époque), mais un grand nombre d’histoires au sein de Bletchley Park nous indiquent que les relations amoureuses en temps de guerre étaient à plus d’un titre très différentes de celles d’aujourd’hui.
    C’est peut-être la dimension la plus joliment incontournable de Bletchley Park : une communauté de jeunes gens bien élevés, comprenant bien plus de femmes que d’hommes, dont bon nombre se mettent ensemble.
    L’ancien de Betchley S. Gorley Putt présente les choses légèrement différemment. Il évoque le « confinement bouillant » du Park qui créait une atmosphère ardente dans laquelle « les amours […] devenaient obsessionnelles […] les nerfs poussés à bout en permanence recherchaient maladroitement une nourriture émotionnelle pendant les périodes de temps libre ».
    Certainement. Et vu la claustrophobie de la communauté, ajoutée à la tension générée par le travail, l’explosion de cette hystérie sexuelle était peut-être inévitable. Cependant, en dehors de cette vision digne de Bloomsbury 34 , figurent les histoires plus subtiles mais néanmoins agréables des nombreuses relations durables. Ce qui surprend aujourd’hui quand on écoute les récits de la naissance de mariages heureux et solides, c’est la décontraction affichée par les autorités du Park vis-à-vis des affaires de cœur.
    Le mathématicien Keith Batey se remémore l’un de ses tout premiers souvenirs de Bletchley Park, à savoir la vue de « jeunes femmes nubiles » allant et venant. Mais c’était peu de temps avant que lui et Mavis Lever se rencontrent. Il était dans le baraquement 3, tandis qu’elle travaillait dans le Cottage aux côtés de Dilly Knox. Une nuit, elle reçut un message l’invitant à se rendre dans le baraquement 3. Leurs regards se croisèrent, comme ils s’en rappellent aujourd’hui en riant :
    « Un soir tard, j’étais de service avec l’équipe du soir dans le baraquement et c’est là que je l’ai rencontrée, dit Keith. Cette fille, petite, est arrivée de l’équipe de Dilly avec un message contenant un problème. Elle ne savait pas comment le