Les champs de bataille
du mois et rencontrer Thomas. Pas de quoi fouetter un chat.
— C’est vous qui le dites, réplique le juge, mais c’est moi qui apprécie. Et cela ne me suffit pas.
— Que voulez-vous de plus ?
— Savoir ce que vous avez fait les jours précédant la rencontre du pont Morand.
— Les rencontres, rectifie Hardy.
— Une seule m’intéresse. Je me moque de Thomas et de sa secrétaire.
— Que vous faut-il ?
— Pour le moment, une réponse simple à une question simple. Dans la nuit du 7 au 8 juin, vous prenez le train pour Paris. Vous en êtes débarqué à la hauteur de Chalon. Klaus Barbie vient vous chercher. Il vous emmène à Lyon, non pas à la prison de Montluc mais à l’Ecole de santé militaire où vous bénéficiez d’un régime de faveur. Il vous libère peu après. Vous lui avez promis de fureter dans Lyon à la recherche de résistants que vous pourriez connaître. Entre ce moment-là et le pont Morand, il s’écoule dix jours. Qu’avez-vous fait pendant ces dix jours ?
— J’ai poursuivi mes activités.
— Au risque de faire prendre vos collaborateurs ? »
Hardy ne répond pas.
« Vous saviez que Barbie vous pistait, et vous n’avez pris aucune précaution particulière ?
— Bien sûr que si.
— Lesquelles ?
— J’ai détruit les pièces compromettantes qui se trouvaient chez les parents de ma fiancée.
— Vous me l’avez déjà dit. Et puis ?
— Je vérifiais sans cesse que je n’étais pas suivi.
— Est-ce tout ?
— Cela ne vous suffit pas ? »
Le ton est agressif. Même le greffier le remarque, qui s’interrompt brièvement dans sa tâche de scribe. Le juge abandonne cette voie-là. Elle ne l’intéresse pas particulièrement. Tous les témoignages confirment, en effet, que Hardy, très inquiet car se sachant surveillé, n’avait qu’une crainte : commettre une imprudence qui eût frappé ses amis. Il sortait le moins possible, vérifiait avant chaque rendez-vous qu’il n’avait pas été suivi, parlait peu.
« N’avez-vous pas préjugé de vos forces et de votre habileté ?
— Apportez-moi la preuve que j’ai failli.
— Elle viendra », répond froidement le juge.
Il hésite un instant sur la méthode qu’il doit suivre pour confondre son adversaire. C’est-à-dire dans quel ordre il posera ses questions. Quand il exerçait, il évaluait la résistance de son vis-à-vis en l’interrogeant sur des points secondaires. Au vu des réponses, il choisissait d’assener ou de contourner, d’aller droit au but ou de louvoyer. Avec Hardy, jusqu’à présent, il a construit un édifice qui prendra tout sonsens lorsque la dernière pierre sera posée. Il n’est pas très loin de ce moment-là. Il pourrait sans doute s’en approcher très vite. Mais, à la réflexion, il préfère prendre un peu plus de temps. Fermer toutes les issues par lesquelles l’inculpé s’échapperait.
« Je suppose que les Allemands vous demandaient de rendre compte. »
Hardy garde le silence.
« Ne me faites pas croire qu’ils ont attendu dix jours pour avoir de vos nouvelles.
— Je les voyais de temps en temps.
— Où ?
— Ici, là…
— Précisez, ordonne le juge.
— Barbie me convoquait.
— Où ? répète le juge.
— A l’Ecole de santé militaire.
— Vous y dormiez ? »
Hardy soupire. Il peut reconnaître ou feindre de ne pas se souvenir. Le juge parie pour la seconde option. Et, en effet, après avoir simulé une recherche intérieure sans résultat probant, l’inculpé lâche :
« Je ne saurais pas vous répondre.
— Je vais vous aider », dit le juge.
Il se lève, ouvre l’armoire, cherche un instant et se rassied après avoir pris un dossier qu’ilouvre devant lui. Il contient les dépositions de Lydie Bastien. Il tourne les feuillets, trouve celui qu’il cherche, se penche et lit :
« René allait souvent dormir à l’Ecole de santé militaire.
— Une ou deux fois, marmonne Hardy.
— Et le reste du temps ?
— Chez les Bastien ou chez des amis.
— Avec votre fiancée ?
— La plupart du temps.
— Vous restiez donc en contact avec Klaus Barbie…
— Si on peut appeler ça un contact… »
Le juge hoche la tête. Le moment est venu d’avancer ses pièces principales. Il referme le dossier posé sur son bureau, le replace dans l’armoire, en choisit un autre marqué Pont Morand puis retrouve sa place. Il dévisage Hardy un bref instant, le regard
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