Les chasseurs de mammouths
avait pas beaucoup plu, la
première fois qu’elle l’avait goûté, mais tous les autres semblaient le
déguster avec plaisir, et elle décida de faire un nouvel essai.
Après avoir servi tout le monde, Talut reprit son assiette pour
aller se servir de ragoût pour la troisième fois.
— Talut ! Tu en reprends encore ? fit Nezzie, d’un
ton faussement grondeur.
C’était sa façon à elle, Ayla commençait à le comprendre, de
dire au colosse qu’était le chef du camp qu’elle était contente de lui.
— Mais tu t’es surpassée. Ce ragoût est le meilleur que j’aie
jamais mangé.
— Voilà que tu exagères encore. Tu me dis ça pour que je ne
te traite pas de glouton.
— Voyons, Nezzie...
Talut posa son assiette. Tout le monde, en souriant, échangeait
des regards entendus.
— Quand je dis que tu es la meilleure, je le pense
vraiment. Il la souleva de terre, fourra le nez au creux de son épaule.
— Talut ! Espèce de gros ours. Lâche-moi.
Il obéit, non sans lui caresser un sein en lui mordillant l’oreille.
— Tu as raison, je pense. Qui a besoin de reprendre du
ragoût ? Je vais achever mon repas avec toi, je crois. Ne m’as-tu pas fait
une promesse, tout à l’heure ? répliqua-t-il, avec une innocence bien
jouée.
— Talut ! Tu es pire qu’un taureau en rut !
— D’abord, je suis un glouton, ensuite un ours, et me voilà
maintenant transformé en aurochs.
Il éclata d’un grand rire.
— Mais, toi, tu es la lionne. Viens avec moi à mon foyer,
dit-il. Il faisait mine de vouloir la soulever pour l’emporter.
Elle céda soudain, se mit à rire, elle aussi.
— Oh, Talut ! Comme la vie serait triste sans
toi !
Le géant la gratifia d’un large sourire. Ils échangèrent un
regard où brûlaient l’amour et la complicité. Ayla en sentit la chaleur. Au
fond d’elle-même, elle devinait que cette étroite entente était née de toute
une vie d’expériences partagées, au cours de laquelle ils avaient appris à s’accepter
l’un l’autre.
Mais leur bonheur faisait lever en elle des pensées
inquiétantes. Connaîtrait-elle jamais une telle entente ?
Parviendrait-elle un jour à comprendre aussi bien un autre être ? Les yeux
fixés au-delà de la rivière, elle méditait sombrement. Elle partagea ainsi avec
les autres un moment de silence, tandis que le vaste paysage désert mettait en
scène un impressionnant spectacle.
Les nuages qui venaient du nord avaient étendu leur territoire,
quand le Camp du Lion eut achevé son festin. Ils offraient maintenant leurs
surfaces réfléchissantes à un soleil qui battait rapidement en retraite. Dans
un brûlant et glorieux flamboiement, ils proclamaient leur victoire sur l’horizon
lointain, ils déployaient leur triomphe en bannières éclatantes d’écarlate et d’orangé...
sans se soucier d’un noir allié, l’autre face du jour. Cet orgueilleux
déploiement de couleurs, dans toute son audacieuse splendeur, fut une fête de
courte durée. L’inexorable avance de la nuit vint saper cet éclat fugitif et
fit pâlir les couleurs jusqu’à des tons de carmin et de cornalines. Le rose vif
passa au mauve cendré pour être finalement vaincu par un noir de suie.
Avec la nuit, le vent forcit. L’abri et sa chaleur se firent
attirants. Dans la lumière déclinante, chacun frotta ses assiettes avec du
sable, les rinça à l’eau claire. On vida dans un récipient le reste du ragoût
de Nezzie, on nettoya de la même manière la grande peau qui avait servi à le
cuire, avant de la mettre à sécher au-dessus du feu. Une fois à l’intérieur, on
se débarrassa des vêtements chauds, on les accrocha à des chevilles, on ranima
et regarnit les feux.
Le bébé de Tronie, Hartal, nourri et satisfait, s’endormit
presque tout de suite, mais la petite Nuvie de trois ans, qui luttait pour garder
les yeux ouverts, voulait à tout prix rejoindre les autres qui commençaient à s’assembler
au Foyer du Mammouth. Ayla la vit trébucher. Elle l’enleva dans ses bras, la
berça un instant, avant de la ramener, profondément endormie, à Tronie, avant
même que celle-ci n’eût quitté son foyer.
Au Foyer de la Grue, Tasher, le fils de Fralie, qui avait deux
ans, avait mangé, pendant le festin, dans l’assiette de sa mère. Pourtant,
remarqua Ayla, il cherchait encore à prendre le sein. Il se mit à grogner, à
pleurer, ce qui convainquit la jeune femme que sa mère n’avait plus de lait. Il
venait
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