Les chasseurs de mammouths
mais ils ne ressemblaient pas à ceux qu’avait formés la Mère pour
les besoins de Ses créatures. Même si l’on se refusait à l’admettre, les
similitudes avec les Autres étaient reconnues, mais les évidentes
caractéristiques humaines du Clan n’entraînaient pas un étroit sentiment de
fraternité. Bien au contraire, on y voyait une menace et l’on insistait sur les
différences. Par les gens comme Jondalar, le Clan était considéré comme une
espèce abominablement bestiale, pas même cataloguée dans le panthéon des
créations de la Grande Terre Mère, comme si elle avait été engendrée par
quelque mystérieux esprit malin. Mais, à la manière des meutes de loups qui se
répartissent un territoire où chacune défend sa part contre les autres meutes
et non contre les autres créatures, qu’il s’agisse de proies ou de prédateurs,
de même, entre les Clans et les Autres, l’acceptation des frontières du
territoire de chacun représentait une tacite reconnaissance du fait qu’ils
étaient de la même espèce.
Jondalar en était venu à comprendre, à peu près en même temps qu’il
prenait conscience de son amour pour Ayla, que toute vie était une création de
la Grande Terre Mère, même les Têtes Plates. Mais il avait beau aimer la jeune
femme, il restait convaincu que, chez lui, elle serait tenue à l’écart. Ce ne
serait pas seulement ses liens avec le Clan qui la feraient traiter en paria.
On verrait en elle un monstre, condamné par la Mère, parce qu’elle avait mis au
monde un enfant d’esprits mêlés, mi-animal, mi-humain.
Ce tabou était communément répandu. Tous les peuples que
Jondalar avait rencontrés au cours de ses voyages adhéraient à cette croyance,
certains avec plus de conviction que d’autres. Il se trouvait des gens pour ne
pas même vouloir admettre l’existence de tels bâtards ; d’autres y
voyaient une plaisanterie de mauvais goût. Voilà pourquoi il avait été
scandalisé en découvrant Rydag au Camp du Lion. Sa présence, il en était
convaincu, n’avait pas dû rendre la vie facile à Nezzie : à la vérité,
elle avait eu à endurer le poids des critiques cruelles et des préjugés. Seule,
une femme dotée d’une sereine assurance et forte de sa position avait pu
affronter ainsi ses détracteurs, mais, en fin de compte, sa profonde
compassion, son humanité avaient prévalu. Mais Nezzie elle-même, lorsqu’elle
avait essayé de persuader les autres d’accepter Ayla parmi eux, n’avait pas
fait mention du fils dont la jeune femme lui avait parlé.
Ayla ne mesurait pas la profondeur de la souffrance de Jondalar
quand Frébec l’avait tournée en ridicule, même s’il s’était attendu à une
réaction plus violente encore. Cette souffrance, néanmoins, ne tenait pas
seulement au fait qu’il s’était mis à la place d’Ayla. L’affrontement lui avait
remis en mémoire une autre circonstance où ses émotions l’avaient égaré. Il
avait réveillé une blessure enfouie au plus profond de lui-même. Mais, pis
encore, il y avait eu sa propre réaction inattendue. C’était ce qui causait
maintenant son angoisse. Jondalar rougissait encore de honte parce que, l’espace
d’un instant, il s’était senti mortifié de son association avec la jeune femme,
pendant que Frébec lançait ses invectives. Comment pouvait-il aimer une femme
et, en même temps, avoir honte d’elle ?
Depuis le terrible événement qui datait du temps de sa jeunesse,
Jondalar s’était toujours efforcé de garder la tête froide mais, cette fois, il
était apparemment incapable de maîtriser les conflits qui le déchiraient. Il
désirait ramener Ayla chez lui. Il désirait lui faire connaître Dalanar, les
habitants de sa caverne, sa mère, Marthona, son frère aîné, sa jeune sœur, ses
cousins, tous les Zelandonii. Il voulait la voir bien accueillie, il voulait
fonder un foyer avec elle, partager un lieu où elle pourrait avoir des enfants
qui naîtraient peut-être de son propre esprit. Il ne désirait personne d’autre
au monde, ce qui ne l’empêchait pas de frémir à l’idée du mépris qui pourrait s’abattre
sur lui s’il introduisait chez lui une telle femme. Il hésitait aussi à l’exposer,
elle, à ce mépris.
Surtout si ce n’était pas nécessaire. Si seulement elle s’abstenait
de parler du Clan, personne ne saurait rien. Toutefois, que pourrait-elle dire,
quand quelqu’un l’interrogerait sur son peuple ? Lui demanderait
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