Les chasseurs de mammouths
chagrin d’une petite fille qui avait tout perdu, jusqu’au souvenir de ceux
auxquels elle avait appartenu. Ayla ne redoutait rien autant que les
déchirements convulsifs de la terre. Ils semblaient toujours apporter le signal
de changements dans sa vie, aussi violents, aussi brutaux que ceux qu’ils
apportaient au paysage. On eût dit que la terre elle-même l’avertissait de ce
qui l’attendait... ou qu’elle frémissait en témoignage de sympathie.
Mais, après la première fois où elle avait tout perdu, le Clan
était devenu son peuple. A présent, si elle le désirait, elle avait la
possibilité d’en retrouver un. Elle pouvait devenir mamutoï. Elle ne serait
plus seule.
Mais que ferait Jondalar ? Comment pourrait-elle choisir un
peuple autre que le sien ? Consentirait-il à rester, à devenir un
Mamutoï ? Elle en doutait. Ce qu’il désirait, elle en était convaincue, c’était
rentrer chez lui. Mais il avait craint de voir tous les Autres se comporter
avec elle comme Frébec. Il ne voulait pas qu’elle parlât du Clan. Que se
passerait-il, si elle partait avec lui, et si son peuple ne voulait pas d’elle ?
Peut-être ces gens-là étaient-ils tous comme Frébec. Elle se refusait à s’abstenir
de parler du Clan, comme si Iza, Creb, Brun, son propre fils étaient des êtres
dont elle dût avoir honte. Elle ne voulait pas avoir honte de ceux qu’elle
aimait !
Avait-elle envie de suivre Jondalar, au risque d’être traitée
par son peuple comme un animal ? Ou bien préférait-elle rester en ces
lieux où on l’acceptait, où l’on désirait sa présence ? Le Camp du Lion
avait même accueilli un enfant d’esprits mêlés, un garçon, semblable à son
propre fils. Une idée se présenta soudain à son esprit. S’ils en avaient
accepté un, peut-être en accepteraient-ils un autre ? Un enfant qui n’était
pas faible, malade ? Un garçon capable d’apprendre à parler ? Le
territoire des Mamutoï s’étendait jusqu’à la mer de Beran. Talut n’avait-il pas
dit qu’il existait là-bas un Camp du Saule ? La péninsule où vivait le
Clan n’était pas bien loin de là. Si elle devenait mamutoï, peut-être
pourrait-elle un jour... Mais Jondalar ? S’il s’en allait ? A cette
seule pensée, Ayla éprouva une vive douleur au creux de l’estomac.
Pourrait-elle endurer de vivre sans Jondalar ? se demanda-t-elle. Elle
avait peine à s’y retrouver dans le désordre de ses sentiments.
Jondalar, lui aussi, se débattait entre des aspirations
contraires. L’offre qui venait de lui être faite lui importait peu, il tenait
seulement à trouver à son refus un prétexte qui n’offenserait ni Talut ni les
Mamutoï. Il était Jondalar des Zelandonii, et son frère avait eu raison, il le
savait : jamais il ne pourrait être autre chose. Il avait envie de rentrer
chez lui, mais c’était une douleur sourde, latente, plutôt qu’un besoin urgent.
Il était impossible d’y penser autrement. Son peuple vivait si loin de là qu’il
faudrait bien une année pour couvrir la distance.
Le grand tourment de son esprit, c’était Ayla. Jamais il n’avait
manqué de partenaires toutes disposées à lui plaire, et la plupart d’entre
elles auraient volontiers accepté de former avec lui un lien plus durable. Mais
jamais il n’avait rencontré de femme qu’il désirât comme il désirait Ayla.
Aucune des femmes de son propre peuple, aucune des femmes qu’il avait connues
au cours de ses voyages, n’avait réussi à susciter en lui les émotions qu’il
avait constatées chez d’autres hommes sans les avoir jamais éprouvées lui-même,
jusqu’au jour où il avait rencontré Ayla. Il l’aimait plus qu’il ne l’aurait
cru possible. Elle était tout ce qu’il avait toujours recherché chez une femme,
et plus encore. Il ne supportait pas l’idée de vivre sans elle.
Mais il savait ce que c’était que d’attirer le déshonneur sur
soi-même. Les qualités même qui l’attiraient – ce mélange d’innocence
et de sagesse, de franchise et de mystère, d’assurance et de vulnérabilité – résultaient
de circonstances qui pourraient lui valoir, à lui, de connaître de nouveau la
souffrance de la disgrâce et de l’exil.
Ayla avait été élevée par le Clan, un peuple différent des
autres de bien des manières inexplicables. Pour la plupart des gens de sa
connaissance, ceux qu’Ayla appelait le Clan n’étaient pas des êtres humains. C’étaient
des animaux,
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