Les chasseurs de mammouths
lui aussi,
faisait partie de ces échanges.
La jeune femme jeta un coup d’œil vers lui. Il était assis sur
une natte et tenait Hartal sur ses genoux. Il occupait le turbulent petit
enfant avec un tas d’os, pour la plupart des vertèbres de cerf, afin de l’empêcher
de se traîner jusqu’à sa mère qui aidait Fralie à composer un motif de perles.
Rydag savait s’y prendre avec les petits : il avait assez de patience pour
jouer avec eux et les distraire aussi longtemps qu’ils le voulaient.
Il sourit à son amie.
— Tu n’es pas la seule à ne pas savoir chanter, Ayla, lui
dit-il par signes.
Elle lui rendit son sourire. Non, pensait-elle, elle n’était pas
la seule. Rydag ne pouvait pas chanter. Ni parler. Ni courir et jouer. Ni même
mener pleinement une vie normale. En dépit de ses connaissances en médecine,
Ayla n’aurait pas su dire combien de temps il allait vivre. Il pouvait mourir
le jour même mais il pouvait aussi bien survivre plusieurs années. Elle n’avait
d’autre ressource que l’aimer chaque jour de sa vie, dans l’espoir de pouvoir l’aimer
encore le lendemain.
— Hartal ne sait pas chanter, lui non plus ! reprit-il
par signes. Il rit de son étrange rire de gorge.
La jeune femme se mit à rire, elle aussi, et secoua la tête d’un
air ravi. Il avait suivi sa pensée, en avait fait une plaisanterie intelligente
et drôle.
Nezzie, debout près du feu, les observait. « Tu ne sais
peut-être pas chanter, Rydag, se disait-elle, mais tu sais parler
maintenant. » Il était en train d’enfiler plusieurs vertèbres sur une
grosse corde et les secouait bruyamment pour distraire l’enfant. Sans le
langage par signes et l’éveil progressif qu’avait apporté ce langage à l’intelligence
et à la compréhension de Rydag, jamais on ne lui aurait confié la
responsabilité de s’occuper de Hartal, pour permettre à sa mère de travailler,
et pas même tout près d’elle. Quel changement avait apporté Ayla à la vie de
Rydag ! Cet hiver-là, personne ne contestait plus son essentielle
humanité, sinon Frébec, et, Nezzie en était sûre, c’était plutôt par
obstination que par conviction.
La jeune femme continuait à se débattre avec le poinçon et le
mince filament. Si seulement elle avait pu faire passer celui-ci dans le trou pour
le reprendre de l’autre côté. Elle s’y essayait, comme le lui avait montré
Deegie, mais c’était un coup de main qui venait de plusieurs années d’expérience,
et elle en était encore bien loin. Découragée, elle laissa tomber sur ses
genoux les deux morceaux de cuir et se mit à observer celles qui fabriquaient
des perles d’ivoire.
Un coup sec appliqué sur une défense de mammouth sous l’angle
qui convenait faisait sauter un morceau d’ivoire assez mince, qui gardait une
certaine courbure. A l’aide de burins, on y gravait alors des sillons que l’on
creusait en repassant plusieurs fois sur la même ligne, jusqu’au moment où les
différentes pièces se détachaient. On les rognait, on les parait, avec des
grattoirs, des couteaux qui enlevaient de longs copeaux en spirales, afin d’en
faire des cylindres encore grossiers. Ceux-ci étaient alors polis avec du grès
que l’on tenait humide pour le rendre plus abrasif. Des lames de silex acérées,
dont le fil était en dents de scie, et qui comportaient un long manche, étaient
utilisées pour découper les cylindres d’ivoire en petites sections dont on
polissait ensuite les extrémités.
La phase finale consistait à percer un trou au centre de chaque
section, afin de pouvoir enfiler sur une cordelette ou coudre les cylindres sur
un vêtement. Pour ce faire, on se servait d’un outil spécial. Une longue et
mince pointe de silex, méticuleusement façonnée par un tailleur de pierre
expérimenté, s’insérait à l’extrémité d’une fine baguette, parfaitement droite
et lisse. La pointe de ce foret était centrée sur un petit disque d’ivoire
assez épais. Alors, comme pour le procédé qui servait à faire du feu, on
faisait tourner la baguette entre les paumes, dans un sens puis dans l’autre,
en exerçant une pression de haut en bas, jusqu’à ce qu’un trou soit percé à
travers le petit cylindre.
Ayla regardait Tronie opérer, concentrée pour réussir un trou
parfait. C’était, pensait-elle, se donner bien du mal pour quelque chose qui n’avait
aucune utilité apparente. Les perles ne servaient ni à se procurer de la
nourriture,
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