Les chasseurs de mammouths
plusieurs des spectateurs se
regardèrent avec une stupeur sans mélange.
— En voilà un changement. Je me demande ce qui lui arrive,
fit Deegie. Si je le connaissais moins bien, je dirai qu’il a un faible pour
Loup !
— Je ne l’aurais pas cru capable de ça, dit Ranec.
Il ressentait, pour l’homme du Foyer de la Grue, un respect
encore jamais éprouvé.
24
Les créatures à quatre pattes du domaine de la Mère avaient
toujours tenu lieu, pour le Camp du Lion, de nourriture, de fourrure ou de
personnification des esprits. Les Mamutoï connaissaient les animaux dans leur
environnement naturel et leurs habitudes de déplacements, de migrations, ils
savaient où les chercher, comment les chasser. Mais les gens du Camp n’avaient
jamais connu d’animaux sur un plan individuel avant le jour où Ayla était
arrivée avec la jument et le jeune étalon.
Les relations entre les animaux et Ayla, puis, le temps passant,
avec d’autres personnes à des degrés variés, constituaient une source constante
de surprise. Avant cela, il n’était jamais venu à l’esprit de personne que ces
bêtes fussent capables de se montrer sensibles à l’intérêt d’un être humain, qu’on
pût les habituer à répondre au coup de sifflet ou bien à porter un cavalier.
Mais les chevaux eux-mêmes n’exerçaient pas sur le Camp autant de fascination
que le louveteau. On respectait chez le loup le chasseur, et à l’occasion, l’adversaire.
On chassait parfois le loup pour faire de sa peau une fourrure d’hiver. Il
arrivait, rarement, qu’un être humain succombât sous l’attaque d’une bande de
loups. La plupart du temps, des deux côtés, on avait tendance à se respecter et
à s’éviter.
Mais les créatures très jeunes exercent toujours un attrait
particulier c’est là la source naturelle de leur survie. Les tout-petits, même
ceux des animaux, touchent une corde intime. Loup – on en était venu
à l’appeler par ce nom – possédait un charme bien à lui. Depuis le
premier jour où la petite boule floconneuse d’un gris sombre avait trébuché sur
des pattes incertaines sous leurs yeux, elle avait ravi les gens du Camp du
Lion. Ses manières empressées étaient irrésistibles, et Loup était rapidement
devenu la coqueluche du Camp.
Les Mamutoï ne s’en rendaient pas compte, mais un élément
facilitait les relations : les mœurs des humains et celles des loups n’étaient
pas très différentes. Les uns et les autres étaient des animaux intelligents,
sociables, organisés à l’intérieur d’un ensemble de relations complexes et
changeantes qui favorisaient le groupe tout en tenant compte des différences
individuelles. Par suite des ressemblances de leurs structures sociales et de
certaines caractéristiques qui avaient évolué indépendamment, à la fois chez
les loups et chez les humains, une relation unique était possible entre eux.
L’existence de Loup avait débuté sous des auspices inhabituels
et difficiles. Unique survivant de la portée d’une louve solitaire qui avait
perdu son mâle, il n’avait jamais connu la sécurité d’une bande. Il n’avait eu
que sa mère pour compagnie et le souvenir de la louve s’estompait à mesure qu’Ayla
prenait sa place.
Mais Ayla était plus qu’un substitut de la mère. En décidant de
garder et d’élever le petit loup, elle était devenue la moitié humaine d’un
lien entre deux espèces totalement différentes, un lien qui devait avoir des
conséquences profondes et durables.
Même s’il y avait eu d’autres loups dans les parages, Loup était
trop jeune, quand Ayla l’avait trouvé, pour avoir noué avec eux de véritables
liens. A l’âge d’un mois environ, il aurait dû tout juste commencer à sortir de
la tanière pour faire connaissance avec sa famille ; les loups auxquels il
se serait identifié pour tout le reste de sa vie. Il reporta cette
identification sur les êtres humains et sur les chevaux du Camp du Lion.
C’était la première fois, mais ce ne serait pas la dernière. L’idée
allait faire son chemin, et, soit par accident, soit à dessein, le lien se
nouerait de nouveau bien des fois, en bien des lieux. Les ancêtres de toutes
les races de chiens domestiques furent les loups, et, au début, ils
conservèrent leurs caractéristiques essentielles de loups. Mais, avec le temps,
les générations de loups nées et élevées dans un environnement humain
commencèrent à se distinguer de leurs
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