Les chasseurs de mammouths
Tulie pensait
que, puisqu’il ne pouvait parler, il n’éprouvait rien.
Ayla aurait aimé poser des questions à propos de l’enfant mais
elle craignait de se montrer présomptueuse. Jondalar le fit à sa place, pour
satisfaire sa propre curiosité.
— Nezzie, veux-tu nous parler de Rydag ? Cela
intéresse Ayla, je pense, et moi aussi.
Nezzie se pencha pour reprendre le petit garçon à Latie et l’installer
sur ses genoux, tout en rassemblant ses idées.
— Nous étions partis chasser le mégacéros, tu sais, le cerf
géant aux bois démesurés, commença-t-elle. Nous avions l’intention d’élever une
enceinte et d’y faire pénétrer les bêtes : c’est le seul moyen de chasser
les animaux aux grandes cornes. Quand j’ai remarqué pour la première fois la
femme qui se cachait près de notre campement, j’ai trouvé cela étrange. On voit
rarement des femmes Têtes Plates et jamais seules.
Ayla, penchée en avant, l’écoutait attentivement.
— Elle ne s’est pas enfuie quand elle m’a vue la regarder,
mais plus tard seulement, quand j’ai voulu m’approcher d’elle. J’ai noté alors
qu’elle attendait un enfant. Je me suis dit qu’elle avait peut-être faim et je
lui ai laissé de quoi manger près de l’endroit où elle se cachait. Le lendemain
matin, la nourriture avait disparu. J’en ai déposé d’autre, avant que nous
levions le camp.
« Au cours de la journée, j’ai cru la voir à plusieurs
reprises, mais je n’en étais pas sûre. Le soir, pendant que j’allaitais Rugie,
j’ai essayé de l’approcher. Une fois de plus, elle a pris la fuite mais elle se
déplaçait comme si elle souffrait, et j’ai compris qu’elle était sur le point
de mettre son enfant au monde. Je ne savais pas quoi faire. Je voulais l’aider,
mais elle m’échappait toujours, et la nuit tombait. J’ai tout raconté à Talut,
et il a rassemblé quelques hommes pour la rattraper.
— Ça aussi, ça m’a paru étrange, dit Talut, en prenant la
suite du récit de Nezzie. Je pensais que nous allions devoir l’encercler pour
la prendre au piège, mais, quand je lui ai crié de s’arrêter, elle s’est tout
simplement assise par terre pour nous attendre. Elle n’a pas eu l’air trop
effrayée à ma vue. Je lui ai fait signe d’approcher. Elle s’est levée et m’a
suivi tout de suite, comme si elle savait ce qu’elle devait faire, comme si
elle comprenait que je ne lui ferais pas de mal.
— Je ne sais pas comment elle parvenait encore à marcher,
continua Nezzie. Elle souffrait tellement. Elle a vite compris que je voulais l’aider,
mais je me demande si j’ai été d’un grand secours. Je n’étais même pas sûre qu’elle
vivrait assez longtemps pour mettre son enfant au monde. Pourtant, elle n’a
jamais poussé un cri. Finalement, le lendemain matin, son fils est né. A ma
surprise, il était d’esprits mêlés. Même à cet âge, on voyait qu’il était
différent.
« La femme était très faible. Si je lui montrais que son
fils était vivant, me suis-je dit, elle retrouverait peut-être une raison de
vivre. Et elle avait l’air d’avoir envie de le voir. Mais sans doute s’était-elle
trop affaiblie. Elle devait avoir perdu trop de sang. C’était comme si elle
avait renoncé à tout. Elle est morte avant le lever du soleil.
« Tout le monde me disait de le laisser mourir avec sa
mère, mais, de toute manière, je nourrissais Rugie et j’avais trop de lait. Il
ne m’en a pas coûté de le mettre au sein, lui aussi.
D’un geste protecteur, elle serra l’enfant contre elle.
— Il est chétif, je le sais bien. Peut-être aurais-je dû l’abandonner,
mais je ne pourrais pas aimer Rydag davantage s’il était mon propre enfant. Et
je ne regrette pas de l’avoir gardé.
Rydag leva vers Nezzie ses grands yeux bruns brillants, il lui
passa autour du cou ses petits bras maigres, posa la tête sur sa poitrine.
Nezzie se mit à le bercer.
— Il y a des gens qui le considèrent comme un animal parce
qu’il ne peut pas parler, mais je sais qu’il comprend tout. Et ce n’est pas non
plus un monstre, ajouta-t-elle, en lançant vers Frébec un coup d’œil furieux.
Seule la Mère sait pourquoi les esprits qui l’ont formé étaient mêlés.
Ayla luttait pour retenir ses larmes. Elle ignorait comment ces
gens réagiraient devant ce spectacle : ses yeux qui se mouillaient si
aisément avaient toujours gêné les gens du Clan. En regardant la femme et
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