Les chasseurs de mammouths
Frébec sur ses difficultés d’élocution. Le reste non plus, d’ailleurs.
Elle glissa un coup d’œil vers Jondalar, lui vit le front plissé. Il lui
demandait d’être prudente. Elle n’était pas bien sûre de la nature de son
inquiétude, mais peut-être n’était-il pas nécessaire de tout dire.
— Je grandis avec Clan mais je pars... pour trouver Autres,
comme moi. J’ai...
Elle s’interrompit pour retrouver le nom du chiffre qui
convenait.
— ... quatorze années, alors. Iza dit Autres vivant dans
nord. Je chercher longtemps ; trouver personne. Je trouve vallée et je
reste, pour préparer pour hiver. Tue cheval pour viande, vois petit cheval,
enfant de jument. Moi sans personne. Petit cheval est comme enfant. Prends soin
petit cheval. Après, trouve jeune lion, blessé. Prends lion aussi, mais lui
grandit, quitte, trouve compagne. Vis dans vallée trois ans, seule. Après,
Jondalar vient.
Ayla se tut. Personne ne parlait. Son explication, fournie tout
simplement, sans fioritures, était certainement véridique. Elle n’était pas
moins difficile à croire. Elle posait plus de questions qu’elle ne fournissait
de réponses. Avait-elle été réellement recueillie et élevée par des Têtes
Plates ? Ceux-ci savaient-ils vraiment parler ou, du moins,
communiquer ? Pouvaient-ils se montrer si généreux, si humains ? Et
elle, si elle avait été élevée par eux, était-elle humaine ?
Ayla occupa le silence qui suivit à observer Nezzie et le petit
garçon. Elle se rappela alors un souvenir ancien de sa vie dans le Clan. Creb
avait commencé à lui enseigner le langage des mains, mais il y avait au moins
un geste qu’elle avait appris seule. C’était un signe qu’on faisait souvent
devant les tout jeunes enfants, et que les plus grands utilisaient toujours
avec les femmes qui s’occupaient d’eux. Elle revoyait l’émotion d’Iza, le jour
où elle lui avait adressé ce signe pour la première fois.
Elle se pencha en avant, dit à Rydag :
— Je veux montrer mot. Mot tu fais avec mains.
Il se redressa, le regard brillant d’intérêt et de plaisir. Il
avait compris, comme il comprenait toujours ce qu’on disait autour de lui. Et
la mention de signes faits avec les mains avait éveillé en lui un vague émoi.
Sous les regards de l’assistance, Ayla fit un geste, un
mouvement bien précis des deux mains. Il essaya de l’imiter, eut un froncement
de sourcils perplexe. Mais soudain, surgie du plus profond de lui-même, la
compréhension vint l’illuminer. Il corrigea son geste. Ayla lui sourit, hocha
la tête. Il se tourna alors vers Nezzie, refit pour elle le même signe. Elle
regarda Ayla.
— Il a dit à toi « mère », expliqua la jeune
femme.
— Mère ? répéta Nezzie.
Elle ferma les paupières pour refouler ses larmes, serra contre
elle l’enfant dont elle prenait soin depuis sa naissance.
— Talut ! Tu as vu ? Rydag vient de m’appeler « mère ».
Jamais je n’aurais cru voir le jour ou Rydag m’appellerait « mère ».
4
L’atmosphère, dans le Camp, était à la préoccupation. Personne
ne savait que dire, que penser. Qui étaient donc ces étrangers qui avaient
surgi parmi eux ? L’homme qui prétendait venir d’un lieu situé très loin
vers le couchant était plus facile à croire que la femme. Elle avait passé,
disait-elle, trois années dans une vallée proche et, plus étonnant encore,
avant cela, elle avait vécu avec une bande de Têtes Plates. Le récit de la
femme menaçait toute une structure de convictions confortables. Il était
pourtant difficile de mettre sa parole en doute.
Nezzie, les yeux pleins de larmes, était allée coucher Rydag.
Tout le monde considéra son départ comme le signal que la soirée était finie,
et chacun regagna son foyer. Ayla profita de l’occasion pour s’éclipser. Elle
enfila sa pelisse en fourrure, en releva le capuchon et se glissa dehors.
Whinney la reconnut, hennit doucement. Guidée dans la nuit par
le souffle et les ébrouements de la jument, Ayla la retrouva.
— Tout va bien, Whinney ? Tu es à ton aise ? Et
Rapide ? Probablement pas plus que moi, dit Ayla.
Elle employait le langage particulier dont elle usait avec les
chevaux. Whinney secoua sa crinière, piaffa délicatement, avant de poser la
tête sur l’épaule de la jeune femme. Ayla entoura de ses bras l’encolure au
poil rude, appuya son front contre la jument qui avait été si longtemps son
unique compagnie.
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