Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
comte d’Authon s’approcha à nouveau de sa table pour y
relire une dixième fois la lettre d’Agnès.
     
    Monsieur,
    Croyez que je déplore le tracas que je m’apprête à vous
causer. Croyez aussi que je suis votre humble et fidèle arrière-vassale et que
votre arbitrage sera le mien.
    Je me trouve aujourd’hui dans une situation dangereuse et
fort délicate. Il m’appartient d’y faire face, et j’y suis préparée, du moins
je l’espère. Dieu me guidera.
    Là n’est pas l’objet de ma supplique, car il s’agit bien
d’une supplique. Vous connaissez Clément. Il m’a fidèlement servie, et est cher
à mon cœur. C’est une âme pure et fiable. À ce titre, il mérite protection.
    Lorsque j’ai compris que je devais l’éloigner de moi afin
de garantir sa sécurité, n’est-il pas étrange que seul votre nom et votre
souvenir me soient venus ?
    Si vous jugiez, après l’avoir entendu, que vous ne pouvez
accueillir Clément en votre maison, je vous supplie, avec toute mon obéissance
et mon respect, de le laisser partir sans en avertir personne. Je lui ai offert
sept sous d’or, tout ce que je possède. Il devrait pouvoir survivre quelque
temps grâce à cette somme. Pour cela, mon infinie gratitude vous est acquise.
    Je ne suis coupable d’aucune des monstruosités qui me
sont reprochées, et Clément l’est encore moins. Si je connais l’origine de la
machination qui risque de me faire périr, j’ai le sentiment diffus qu’elle a
échappé à son concepteur. Quoi qu’il en soit, soyez assuré, monsieur, que votre
venue à Souarcy m’a laissé le meilleur souvenir depuis mon veuvage. Pour être
franche et si j’ose, j’avoue n’avoir pas connu de moments plus plaisants depuis
que madame Clémence de Larnay me fut ravie par la mort. Qu’elle repose en très
grande paix.
    Que Dieu vous protège, qu’Il protège Clément.
    Votre très sincère et très obéissante vassale,
    Agnès de Souarcy.
     
    Un maelström d’émotions contradictoires prenait le comte d’assaut,
l’empêchant d’adresser la parole à ce garçon trop fluet, trop poussé en graine
qui se tenait raide en face de lui, tête levée, regard droit, en dépit de la
peur qui le secouait.
    Mais pourquoi n’était-elle pas venue lui demander
protection ? Il aurait pu intervenir, faire rentrer dans la gorge de cet
inquisiteur ses accusations. Certes, ils avaient tant de puissance, mais pas au
point de mécontenter le roi de France, et Artus se serait abaissé à quémander
son intervention pour elle. Pour elle. Philippe l’aurait compris. C’était un
grand roi et un homme d’honneur et de parole lorsque les affaires de l’État
n’étaient pas en jeu. De surcroît, il n’avait pas une passion pour l’Église et
l’Inquisition, même s’il en usait au gré des besoins.
    Cette femme le bouleversait, l’exaspérait, le rendait
humble, le touchait comme personne n’y était jamais parvenu. Son courage
n’avait d’égal que son fol aveuglement.
    Quoi ? Elle comptait se battre seule contre un grand
inquisiteur ? Avec quelles armes ?
    Non, elle n’était pas aveugle. Elle était un lynx, ainsi que
l’avait décrite Monge. Elle était en train de feinter. Elle mettait à l’abri
ses petits, exposant sa gorge pour occuper un moment l’adversaire.
    Croyait-elle vraiment avoir la possibilité de se retourner
contre lui, de planter ses crocs dans la chair honnie ? Elle n’était pas
de taille contre eux. Ils avaient tous pouvoirs, la totale immunité puisqu’ils
se relevaient l’un l’autre de leurs fautes, quelles qu’elles fussent.
    Et si elle le savait ? Et s’il s’agissait en fait d’un
suicide programmé ? Les femelles lynx font cela, il était assez chasseur
pour le savoir, aussi rompait-il le combat, laissant la fauve fuir. Un jour,
l’une d’elles s’était retournée à quelques mètres, le scrutant de ses prunelles
jaunes avant de disparaître comme un spectre dans les fourrés. Une déroutante
conviction avait saisi Artus : elle lui adressait un salut, peut-être un
remerciement.
    Ce prédateur-là, tel que le lui avait décrit Clément, ne
desserrerait pas les griffes de sur sa proie. Agnès n’avait aucune chance.
    Son poing s’abattit sur la table et il hurla :
    — Non !
    Clément ne bougea pas.
    — Il faut trouver une parade, marmonna Artus. Mais
laquelle ? Nous sommes sans pape. Une requête, même royale, se perdrait
dans les méandres du Vatican, et chacun

Weitere Kostenlose Bücher