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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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qu’un plaisant masque,
s’il devenait pleutre ? S’il renvoyait Clément ou, pire, s’il le livrait à
l’Inquisition ?
    Assez ! Assez, et à l’instant !
    Un mois allait s’écouler, le mois de grâce. Elle avait le
temps de réfléchir, de préparer sa défense, d’envisager des stratégies de
rechange. Clément l’y avait déjà aidée, un soir qu’il rentrait de l’une de ses
mystérieuses escapades.
    Un courage qu’elle n’espérait plus depuis le silence de ses
ombres lui était revenu. Elle n’était plus seule, même si elle avait choisi
d’écarter Clément. Elle ne lui avait pas menti. Il représentait sa pire
faiblesse en ce moment. Elle se sentait capable de tout, sauf de résister à une
menace pesant sur sa jeune vie. Lui disparu, à l’abri, elle pouvait les
affronter. Une idée incongrue, une idée qu’elle n’aurait jamais eue quelques
jours auparavant s’imposa : elle ne ferait pas de quartier. Eudes avait
tissé la toile qui l’étouffait. Si elle sortait victorieuse de cette épreuve,
elle lui ferait rendre gorge, sans pitié. Le temps du pardon, des atténuations
était terminé.
    Elle se dirigea vers les cuisines et ordonna d’un ton posé à
Adeline de chercher des vêtements à la taille de Clément et de lui préparer un
ballot de vivres, sans éclairer la curiosité muette de l’adolescente.

 
     
Château d’Authon-du-Perche, août 1304
    Des pluies torrentielles avaient failli gâcher les moissons,
plus tardives en Perche qu’en Beauce. Il s’en était fallu de peu, et tous
avaient travaillé jour et nuit pour battre de vitesse les intempéries.
    Artus avait galvanisé ses troupes de paysans et de serfs,
chevauchant d’une ferme à l’autre, houspillant les uns, félicitant les autres.
On l’avait vu retrousser les manches de son chainse de lin fin, calmer et mener
une charrette attelée de deux lourds chevaux de Perche afin de ramasser le blé
fauché. Les femmes s’étaient extasiées sur sa belle musculature, les hommes
l’avaient admiré de ne pas craindre si vile et harassante besogne. Il avait
partagé le cidre, le gros pain et le lard avec eux, il s’était écroulé comme
eux pour une courte heure de repos sur des bottes de paille, et avait juré
comme un soldat que « ce foutre de temps ne lui en remontrerait pas, mort
de Dieu ! ». Ils avaient travaillé sans relâche durant deux jours et
deux nuits.
    Artus d’Authon était rentré fourbu, trempé, crotté jusqu’aux
oreilles et puant. Avant de s’écrouler comme une masse sur son lit, sans même
se dévêtir, une constatation l’avait réconforté : il n’avait pas pensé à
elle depuis le matin... enfin, à peine.
    Il dormit toute la nuit et une bonne partie de la journée
qui lui fit suite. Un bain chaud l’attendait à son réveil et Ronan, qui avait
déjà servi son père, patientait, armé de pied en cap d’une brosse, de savon et
de draps essuyoirs.
    — Les puces de foin vous ont mangé, monseigneur,
constata le vieil homme.
    — Elles en sont toutes mortes, plaisanta Artus. Ah...
Attention, vil tortionnaire, mes yeux ne sont pas sales, inutiles d’y mettre du
savon.
    — Pardon, monseigneur. C’est que cette crasse qui vous
recouvre... Eh bien, c’est crasse bien tenace.
    — C’est de la vraie. Celle de la terre. J’ai faim,
Ronan, très faim. Dois-tu me torturer encore longtemps avec cette brosse ?
    — Il nous reste les cheveux, monseigneur. J’avais gardé
le meilleur pour la fin. Un jeune garçon est arrivé à la nuit. Il semblait
exténué.
    — Qui ?
    — Un certain Clément, qui prétend avoir déjà eu
l’honneur de vous rencontrer chez sa maîtresse.
    Artus d’Authon se leva d’un bond dans son grand baquet,
produisant un tel remous qu’une vague d’eau savonneuse et grisâtre trempa le
plancher. Il cria presque :
    — Qu’en as-tu fait ? Est-il toujours entre nos
murs ?
    — Les cheveux, monseigneur, les cheveux ! Je vous
raconte la suite si vous vous installez tranquillement au fond de votre bain et
me laissez remettre un peu d’ordre et de propreté dans cette... chose qui vous
couvre la tête.
    Ronan en avait vu d’autres, d’abord avec feu le comte
d’Authon, puis avec Artus, qu’il avait vu naître.
    — Cesse de me parler comme une nounou, maugréa
celui-ci.
    — Pourquoi cela ? Je suis votre nounou.
    — C’est bien ce que je craignais.
    Artus aimait Ronan. Il représentait la permanence de ses
souvenirs, les plus

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