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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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lettres nerveuses et minces du conseiller noircissaient ses pages.
Francesco les parcourut. Tant de secrets d’État étaient résumés dans ces lignes
que si elles venaient à être découvertes, l’Occident tout entier vacillerait.
Ainsi, la sainte croisade contre les Albigeois n’avait été que prétexte à mater
Raymond VI de Toulouse, à récupérer le Languedoc et à permettre aux seigneurs
du Nord de se tailler des fiefs sur mesure dans le Sud. Ainsi, malgré la
cuisante défaite de l’année passée à Courtrai, l’armée du roi Philippe se
préparait à en découdre dans quelques jours en Flandre. Son cœur marqua une
pause douloureuse lorsqu’il découvrit les colonnes de chiffres qui s’étalaient
sur les pages suivantes : une évaluation de la fortune du Temple et de
celle de l’ordre des hospitaliers. Leur disparition était donc déjà programmée.
Le Temple, plus riche et plus fragilisé, serait abattu en premier. Le tour de
l’Hôpital viendrait ensuite.
    Un bruit de pas, tout proche. Francesco rabattit
précipitamment la tapisserie et tira sa dague du fourreau. Le bruit longea la
porte puis diminua le long du couloir. Il fallait faire vite.
    Sous les colonnes, quelques courtes phrases assorties de
points d’interrogation :
     
    Levée d’impôts concédée au Temple ? On peut en
espérer un surcroît d’ire de la part du peuple et l’aggravation de sa rancune.
    Commerce avec les hérétiques ou les démons ?
Intelligence avec les infidèles ? Sodomie ? Parjures, blasphèmes, ou
adoration d’idoles ? Sacrifices humains, d’enfants ?
     
    Ainsi, le prieur, Arnaud de Viancourt, avait eu raison. Le
privilège de lever des impôts n’avait été accordé au Temple que pour mieux
préparer sa perte. Quant au reste, de quoi s’agissait-il ? De soupçons ou
d’une liste d’accusations imaginaires et interchangeables que le roi Philippe
brandirait le moment venu pour justifier la nécessité d’une enquête et d’un
procès ? Le sort des deux grands ordres guerriers était scellé. Arnaud de
Viancourt et le grand maître avaient vu juste. Quand tomberait la
sentence ?
    Leone lutta contre la fureur et le chagrin qui l’étouffaient,
et poursuivit sa lecture.
    D’autres chiffres, une méticuleuse comptabilité qui
recensait même des dépenses de quelques deniers distribués à des serviteurs
espions et expliquait une partie des ponctions effectuées par monsieur Philippe
de Marigny dans le Trésor. On apprenait de la sorte qu’un certain Thierry,
damoiseau, avait perçu cent deniers tournois pour inspecter le contenu des
lettres d’un cardinal. Une Ninon, buandière de son état, avait coûté
quatre-vingts deniers afin de rendre compte de l’état du linge de nuit d’un
prélat dont on voulait s’assurer, avant de miser sur lui, qu’il n’était pas
malade. Monsieur de Nogaret était homme de rigueur et de prudence. Enfin, deux
noms, soulignés d’un trait dans une liste qui en comportait quatre autres biffés.
Renaud de Cherlieu, cardinal de Troyes, et Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux.
    Le chevalier replaça le carnet et referma le cadenas.
    Il regretta de ne pas avoir disposé d’assez de temps pour
parcourir les autres documents. Après tout, quelle importance ? Un seul
royaume lui importait, celui de Dieu. Les hommes pouvaient continuer de se
déchirer pour des peccadilles montées en épingle, et ils n’y manqueraient pas.
Bientôt, la vérité s’imposerait à tous, et nul ne pourrait plus fermer les yeux
et prétendre l’ignorer.
    Francesco de Leone sortit du Louvre. La nuit était dense et
propice. La puanteur des rues épaissie par la chaleur de la saison ne
l’importunait pas plus que les miasmes de toute cette humanité concentrée dans
des taudis.
    Encore quelques minutes, le temps de rédiger un message codé
à Arnaud de Viancourt. Il devrait ensuite le confier à un prêtre ami de
l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, qui veillerait à son acheminement jusqu’à
Chypre. Le texte en était lapidaire et n’avait pas grand sens pour le
non-initié.
     
    Bien cher cousin,
    Mes recherches d’angélologie progressent moins vite que
je ne l’avais cru, que vous l’aviez souhaité, en dépit de l’aide inestimable
que m’apportent les écrits d’Augustin, dont surtout la saisissante Cité de
Dieu. Le deuxième ordre [98] des Dominations, des Vertus et des Puissances est bien ardu à embrasser dans
son ensemble, non que le troisième

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