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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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moi, de mes forces, les dernières,
et de mon efficacité. Je me sens parfois comme une vieille femme apeurée, dont
la seule ressource serait les larmes.
    — Le doute de soi, s’il est maîtrisé, est notre allié à
tous. Il n’y a que les sots et les idiots de naissance qui ne le subissent
jamais. Le doute de soi est la preuve éclatante que nous ne sommes qu’une
infime et laborieuse portion de l’entendement divin. Nous mesurons le gouffre
de nos carences, mais nous avançons quand même.
    — Vous êtes encore jeune.
    — Plus tant que cela. J’aurai vingt-six ans en mars
prochain.
    — J’en ai cinquante-sept, la fin est proche. Elle sera
une belle récompense, je crois. J’entrerai enfin dans la Lumière. D’ici là, ma
tâche consiste à lutter... Et vous êtes mon magnifique guerrier, Francesco...
Nos adversaires useront de tous les coups, même des moins honorables. Il s’agit
d’une guerre sourde, mais sans merci... Et elle ne date pas d’hier.
    Leone perçut l’hésitation du prieur. Que lui
taisait-il ? Sachant qu’une question directe se révélerait maladroite, il
tempéra son impatience :
    — Empêcher l’assassinat de Benoît et l’élection d’un
pape complice de Philippe ?
    Arnaud de Viancourt baissa la tête comme s’il cherchait ses
mots, puis :
    — Ce que vous ignorez encore, mon frère, c’est que
l’ancien projet de réunion de tous les ordres soldats, principalement ceux du
Temple et de l’Hôpital, ce projet qu’avait porté il y a douze ans notre pape
Nicolas IV dans son encyclique Dura nimis, n’est pas mort.
    — Nos relations avec le Temple sont pourtant...
malaisées, argua Leone.
    Viancourt hésita puis décida qu’il lui tairait l’avancée des
tractations menées par leur grand maître avec le pape et le roi de France. La
réunion se ferait au profit de l’Hôpital, qui prendrait la direction des autres
ordres. Il en découlait qu’un inévitable affrontement avec le Temple, lequel ne
céderait pas son autonomie de bon gré, se préparait, d’autant que Jacques de
Molay, grand maître du Temple, était un conservateur. Cet excellent soldat, cet
homme de foi, était affaibli par une naïveté politique et une arrogance qui
l’aveuglaient.
    — Malaisées... il s’agit là d’un euphémisme... Philippe
le Bel est un ardent défenseur de cette union.
    Leone leva les sourcils.
    — Sa position est fort étonnante. Un ordre uni sous
l’autorité papale serait encore plus menaçant pour lui.
    — Cela est vrai. En revanche, la situation s’inverse si
la fusion se fait sous la sienne. Le projet de Philippe est de faire nommer
l’un de ses fils grand maître de l’ordre ainsi constitué.
    — Le pape ne le tolérera jamais.
    — La question est plutôt de savoir s’il pourra le
refuser, rectifia le prieur.
    — Et nous en revenons donc à l’évitement d’un souverain
pontife favorable à Philippe, murmura Leone.
    — En effet... Incliner l’histoire de la chrétienté. En
avons-nous le droit ? Cette question me harcèle.
    — En avons-nous le choix ? rectifia d’une voix
douce le chevalier.
    — J’ai bien peur que les années qui se dessinent ne
nous accordent qu’une marge de manœuvre bien mince... Alors, non, nous n’avons
pas le choix.
    Le prieur s’absorba dans la contemplation d’une touffe
d’herbes folles qui était parvenue à accrocher ses racines entre deux gros
blocs de pierre, et murmura d’une voix tendue :
    — L’obstination de la vie. Quelle pure merveille.
    Puis, il reprit d’un ton plus ferme :
    — Un... comment dire... un accidentel et involontaire
intermédiaire nous... aidera, contre son gré.
    Le prieur toussota. Leone le dévisagea, certain que ce qui
allait suivre empoisonnait Arnaud de Viancourt. Il ne se trompait pas :
    — Mon Dieu, ce nom est... si difficile à prononcer. (Il
soupira avant d’avouer :) Cet intermédiaire n’est autre que Giotto
Capella, un des banquiers lombards les plus en vue de la place de Paris.
    Un vertige ferma les yeux de Leone. Il voulut protester,
mais Viancourt l’interrompit :
    — Non. Je n’ignore rien de ce que vous pourriez me
dire. Je n’ignore pas non plus que le temps est incapable de cautériser certaines
dévastations. J’ai cherché des jours durant une autre solution. En vain. Le
passé souille à jamais Capella. Il s’agit d’un atout pour nous.
    Leone se laissa aller contre le mur de larges pierres
irrégulières. L’émotion le

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