Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
poignée
d’estropiés.
    — Mais c’était inévitable..., geignit Capella. Deux ans
plus tôt, au mois d’août je crois, certains des croisés italiens d’Hugues de
Sully s’en étaient pris à des paysans et des marchands musulmans sur un marché,
au point que ces derniers avaient dû se réfugier dans leur fondouk et...
    — Et qui leur porta secours ? l’interrompit Leone
d’un ton devenu cinglant. Les chevaliers de l’Hôpital et ceux du Temple !
    — C’était une guerre... Les guerres...
    — Non... C’était un piège. C’était un piège
admirablement conçu et donc d’une belle valeur marchande, n’est-ce pas,
banquier ? Quand à cette échauffourée sur un marché, il s’agissait d’un
mauvais prétexte. Il en faut toujours un pour justifier une guerre, quel que
soit le côté où on se place. Là n’est plus la question. Si les Mameluks
n’avaient pas eu connaissance des plans de la Neuve Tour et des égouts, le
travail de leurs mineurs eut été compromis, ou à tout le moins, ralenti. Nous
pouvions espérer l’arrivée de renforts ou, au pire, l’évacuation du plus grand
nombre. Combien vaut le carnage de quinze mille hommes, de presque autant de
femmes et d’enfants, Giotto Capella ?
    — Ils... ils m’ont frappé. Ils m’ont... ils ont voulu
m’émasculer... Ils allaient le faire... Ils riaient..., balbutia-t-il.
    Le regard de l’usurier balayait la pièce, comme s’il
attendait un secours providentiel. Leone ne le quittait pas des yeux. La petite
fouine rusée utilisait sa dernière parade : la pitié.
    Début juin 1291. Le combat s’était déplacé. La forteresse de
Sidon était assiégée, elle ne résisterait plus très longtemps. Un jeune garçon
de douze ans bagarrait contre la main qui lui serrait l’épaule, celle de son
oncle Henri, parvenait à se libérer de cette poigne sévère pour courir vers les
ruines d’Acre. Il trébuchait, tombait, puis se relevait, les mains en sang.
    De larges marches blanches inondées de soleil. Celles de la
chapelle. De larges marches enlaidies par des langues de sang sec, par une boue
de chair humaine. De larges marches grouillantes de mouches alourdies par leur
festin.
    Quelques femmes avaient tenté de se réfugier dans la
chapelle, d’y cacher leurs enfants. Sous l’une d’entre elles, dont la tête
presque séparée du cou s’était retournée vers le ciel, l’adolescent avait
distingué une masse mousseuse et blonde. Blonde et collée de rouge sombre. Les
cheveux de sa sœur.
    — Combien, Cappella ? Combien pour ma mère et ma
sœur de sept ans, violées et égorgées, laissées à pourrir au soleil,
déchiquetées par les chiens au point que je ne les reconnaissais plus ?
Combien pour ton âme ?
    Le regard de l’autre se posa enfin sur le chevalier. Un
regard de mort, de souvenir. D’une voix qu’il ne reconnaissait plus, il
annonça, se doutant qu’il ne se remettrait jamais de cet aveu :
    — Cinq cents livres*.
    — Tu mens. Je détecte toujours vos menteries, elles
sont si fragiles. Il s’agissait d’une somme plus modeste, n’est-ce pas ?
    Devant le silence de l’autre, le chevalier insista :
    — N’est-ce pas ? Quoi ? Que croyais-tu ?
Qu’un doublement ou un triplement de l’or encaissé t’absoudrait ? Que
cette multiplication du prix de la traîtrise et de la cupidité les
légitimerait, en quelque sorte ? Que toute chose en ce monde est flanquée
de sa valeur vénale ? Que crois-tu que valent mille livres, cent mille ou
dix millions au regard de Dieu ? La même chose qu’un vilain denier.
    — Trois cents... Je n’en ai perçu que la moitié, ils
n’ont pas tenu parole. Ils m’ont craché à la face lorsque je suis venu réclamer
le reliquat.
    — Les gueux, ironisa le chevalier.
    Puis, il ferma les yeux, le visage levé vers le plafond,
répétant, comme pour lui-même :
    — Cent cinquante livres d’or pour tant de cadavres,
pour elles deux... Cent cinquante livres d’or qui t’ont permis de monter ta
banque. Appréciable transaction pour... qu’étais-tu à l’époque où tu avais une
âme ?
    — Marchand de viande.
    — Ah... d’où ton excellente connaissance des égouts
d’Acre et de la fosse aux bouchers. (Leone soupira avant de poursuivre dans un
murmure :) Je vous connais tant, toi et ta sorte, qu’il me semble parfois
qu’une nuée pestilentielle m’environne. Votre odeur me suit partout, elle colle
à ma peau, elle me fait remonter le

Weitere Kostenlose Bücher