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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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cœur dans la bouche. Je vous perçois avant
même de vous voir, de vous entendre. Je vous renifle. Les remugles de l’agonie,
de la décomposition de vos âmes m’étouffent. Sais-tu comme une âme pue
lorsqu’elle se putréfie ? Il n’est nulle charogne plus intenable.
    L’autre s’était levé d’un mouvement, insensible soudain à la
douleur qui lui vrillait le pied. Gris jusqu’aux lèvres, il avança vers l’hospitalier,
tomba à genoux devant son fauteuil et sanglota :
    — Le pardon, je vous en supplie, le pardon !
    — Il est au-delà de moi, et j’en suis désolé. Pour moi.
    Plusieurs minutes s’écoulèrent, hachées par les sanglots de
l’homme à genoux. Un chagrin foudroyant ravageait Leone. Comment se pouvait-il
que son infini amour de Lui butât sur un pardon ? Qu’avait-il perdu,
qu’avait-il gâché de sa foi ? Il se reprit en songeant qu’il n’était pas
la Lumière, qu’il s’en rapprochait avec tant de peine, tant d’efforts, à la
manière d’une fourmi obstinée, saoule et malade de ténèbres.
    Un jour... Un jour il la toucherait enfin, cette Lumière
qu’il n’avait fait qu’entrevoir dans la nef de Santa Costanza. Un jour, il la
serrerait dans ses bras, il la respirerait, il s’y baignerait tout entier et
tous ses péchés seraient lavés. Il approchait, il le sentait. L’infatigable
fourmi qu’il était devenu depuis si longtemps avait traversé les océans,
escaladé les montagnes, bravé tous les obstacles. Elle avait cru mourir cent
fois, brûlée par le soleil du désert, rongée de fièvre, submergée par les
tempêtes. À chaque fois, elle se relevait, elle repartait, elle avançait vers
la Lumière. Il voulait un jour mourir au creux de la Lumière et s’y disperser,
enfin en paix.
    L’Ineffable Trace, l’Indicible Secret était à portée à main,
n’attendant que le sang qui accepterait de couler pour l’atteindre. Le sien.
    Leone se leva, repoussant sans brutalité l’homme affaissé.
    — J’attends cette rencontre avec Guillaume de Nogaret.
Tu es l’un des usuriers du royaume de France, après tout. Tu trouveras, j’en
suis certain, un admirable prétexte pour expliquer ma présence à tes côtés.
N’oublie pas : à la moindre méfaisance de ta part, Philippe le Bel
apprendra de qui lui vient la boucherie d’Acre. Je m’installerai chez toi pour
la durée de cette entreprise. Banquier... Ne m’adresse la parole que pour ce
qui la concerne. Je prendrai mes repas seul, dans la chambre que tu me
réserveras dans ta demeure. Qu’elle soit prête dans une heure. Je m’en vais
humer la puanteur des rues. Elle devrait m’être moins insupportable que ce que
recouvre l’encens qui brûle dans tes appartements.
    Il s’immobilisa sur le pas de la porte et jeta sans se
retourner à l’homme vide :
    — Ne me mens jamais. Je sais tant de choses à ton sujet,
Capella, tant de choses que tu ignores. S’il te démangeait l’envie de me vendre
contre une belle bourse ou par simple peur, je m’engage devant Dieu à remplir
chacun de tes jours, chacune de tes nuits, d’un calvaire que tes imaginations
les plus folles n’ont fait que frôler.

 
     
Abbaye de femmes des Clairets, Perche, juin 1304
    Clément revenait chaque nuit depuis des semaines, attiré
presque malgré lui par les trésors que l’on avait dissimulés aux yeux de tous
dans cette bibliothèque secrète. Ses incursions, d’abord peureuses, avaient peu
à peu gagné en assurance. Il s’introduisait à la nuit tombée, s’enhardissant
parfois jusqu’à demeurer tout le jour suivant enfermé. Il se nourrissait des
provisions qu’il avait chapardées dans les cuisines de Souarcy, car il se
méfiait de plus en plus de Mabile. Au demeurant, sa défiance, d’abord assez
passive, avait évolué depuis la dernière visite d’Eudes de Larnay. S’il s’était
jusque-là contenté d’épier l’espionne, afin de protéger Agnès, il traquait
maintenant le moindre de ses gestes suspects. La stupidité de son premier plan
l’avait bien vite consterné : il comptait prendre Mabile la main dans le
sac afin d’offrir à la dame de Souarcy une raison légitime de la mettre dehors.
Trop évident. Trop évident et surtout peu efficace. Pourquoi, au contraire, ne
pas utiliser l’espionne contre elle-même ? Lui permettre de découvrir de
menus et inoffensifs secrets, forgés de toutes pièces. Ainsi, si Eudes les
utilisait contre sa demi-sœur, il serait aisément

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