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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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discrédité, en dépit de son
lignage et de sa fortune, lesquels lui donnaient pourtant un avantage de
taille. Ne restait plus à Clément qu’à faire admettre à sa dame cette rouerie.
Il savait que sa maîtresse commençait d’entrevoir une déplaisante vérité. Il
n’est de nobles victoires ou de dignes défaites que face à un noble ennemi.
Seules la ruse et la tromperie permettent aux faibles de combattre un puissant
scélérat. Agnès, il en était certain, l’avait compris sans pour autant
l’accepter tout à fait. Pourtant, la vilenie d’Eudes avait en quelque sorte
rendu service à la dame de Souarcy. Elle avait fait taire ses derniers
scrupules et remords. Eudes était une bête malfaisante, et tous les coups
étaient permis pour en venir à bout.
    Ses invasions nocturnes de la bibliothèque secrète des
Clairets en faisaient partie. Clément s’était d’abord rassuré en songeant que
s’il prenait à l’abbesse l’envie de pénétrer dans ces lieux, il n’aurait qu’à
se cacher sous l’escalier en colimaçon, en se protégeant derrière le rideau
qu’improvisaient les peaux suspendues. Ses craintes s’étaient apaisées assez
vite. La mère abbesse semblait ne visiter que fort peu la bibliothèque, dont
elle seule possédait les clefs et connaissait l’existence. Si ce peu d’attrait
d’Éleusie de Beaufort, pourtant réputée pour son érudition, avait d’abord
étonné l’enfant, il en avait cerné progressivement la raison. Il existait dans
certains de ces ouvrages de telles révélations, des secrets si bouleversants.
Certains avaient choqué Clément jusqu’aux larmes. D’abord, il avait mis en
doute les lignes qui les révélaient. Mais leur implacable démonstration avait
fini par le convaincre. Ainsi, ce qui nous environnait n’était pas le vide,
mais une sorte d’impalpable fluide au sein duquel cohabitaient des éléments et
des organismes si microscopiques que nul ne pouvait les distinguer. Ainsi, la
pierre protégeant des poisons enfouie dans le cerveau des crapauds était une
fable, tout comme les licornes. Ainsi, les comas, les convulsions, les
tremblements et la migraine n’étaient pas le résultat d’une possession
démoniaque, mais d’un mauvais fonctionnement du cerveau, si l’on en croyait Abu
Marwan Abd Al-Malik Ibn Zuhr, baptisé Avenzoar par l’Occident, un des plus
éminents médecins arabes d’origine juive du XII e siècle. Ainsi, il ne suffisait pas de cracher trois fois
dans la bouche d’une grenouille pour ne plus concevoir d’un an. Ainsi, ainsi,
ainsi...
    Éleusie de Beaufort avait-elle refusé d’admettre ce
raz-de-marée ? Avait-elle blêmi devant le danger que représentait cette
science pour les dogmes rabâchés, et surtout pour le pouvoir qu’ils concédaient
à ceux qui les maniaient ?
    Un mince volume l’avait accaparé durant presque un mois. Un
manuel de grec à l’usage des latinistes. Il avait poussé la témérité jusqu’à
l’emprunter quelques jours afin d’accélérer son apprentissage de cette langue
si étrange qui lui paraissait de plus en plus essentielle à la compréhension du
monde.
    Il avait ensuite cherché dans les interminables rayonnages
de la bibliothèque un ouvrage équivalent lui permettant de percer les secrets
de l’hébreu et de l’araméen, car une sorte de logique était vite apparue dans
cette fébrile recherche : un fil conducteur qu’il ne parvenait pas à
définir le menait d’un volume vers un autre.
    L’incrédulité le cloua comme il ouvrait avec délicatesse un
petit recueil d’aphorismes recouvert d’une sorte d’épaisse soie vermillon. Le
même nom. Le même nom tracé à l’encre figurait en haut de la première page des
trois derniers ouvrages qu’il avait déchiffrés. La matérialisation de son fil
conducteur. Eustache de Rioux, chevalier hospitalier. Était-il mort ?
Avait-il légué ces œuvres aux Clairets ou à un héritier intermédiaire ?
Comment se pouvait-il que depuis des jours, Clément ait été attiré par les
volumes composant la bibliothèque de cet homme ?
    Une impulsion le précipita vers l’étagère sur laquelle il
avait découvert l’ouvrage. Il tira un à un ses voisins, les replaçant après les
avoir à peine entrouverts. Enfin, il trouva ce qu’il cherchait. Une peau si
médiocrement tannée, teinte d’une vilaine couleur violine, servait de
couverture au grand livre. Il s’en dégageait encore l’odeur aigrelette du
suint. Nul titre,

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