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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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jalouse du ciel, sécrétait ses propres
nuages. Avant, Gilbert en avait eu peur. Tous disaient qu’il s’agissait du
souffle des revenants et que certains étaient si mécontents de leur sort,
qu’ils vous tiraient jusqu’à eux pour vous entraîner dans les limbes. Mais sa
bonne fée lui avait expliqué qu’il ne s’agissait là que de balivernes et de
contes pour faire obéir les enfançons. La brume venait lorsque la terre était
gorgée d’eau et que la chaleur la faisait s’envoler de l’humus. Rien d’autre.
L’explication avait fort rassuré Gilbert, qui s’était soudain senti supérieur à
tous ces idiots leurrés par des fables à dormir debout. Car sa bonne fée avait
toujours raison.
    Gilbert gloussait de satisfaction. Sa musette était déjà
gonflée de morilles. Les pluies d’automne et les quelques feux de forêts de
l’année passée leur avaient été favorables. Il n’en garderait qu’une bonne
poignée pour lui, les faisant cuire sous la cendre ainsi qu’il les préférait.
Le reste, tout le reste, était réservé à sa bonne fée. Car c’était une fée, une
de celles qui s’étaient accoutumées à la vie des humains, qu’elles rendaient
plus belle et douce, il en était certain.
    Il essuya d’un revers de manche la salive qui lui
dégoulinait le long du menton. Il jubilait.
    Elle les aimait tant, les morilles qu’il cueillait chaque
printemps pour elle. Oh, il l’imaginait déjà, les soupesant entre ses belles
mains pâles, s’exclamant :
    — Ah ça, Gilbert, ne sont-elles pas encore plus grosses
que l’année précédente ? Mais où trouves-tu pareilles merveilles ?
    Il ne lui dirait pas. Pourtant, il était prêt à tout pour
lui plaire. Mais il n’était pas fou : s’il lui avouait ses endroits
secrets où poussaient morilles, cèpes et girolles, il n’aurait plus de beaux
cadeaux à lui offrir. Ce serait une trop grande peine, parce qu’alors, elle ne
lui destinerait plus ce sourire de contentement. Tout comme ces magnifiques
truites qu’il pêchait à la main dans les eaux fraîches de l’Huisne. Gilbert se
rengorgea : lui seul connaissait les petites criques où les plus beaux
poissons se reposaient. D’ailleurs, il prenait bien garde à ne pas être suivi
de quelque curieux lorsqu’il s’y rendait, surveillant derrière son dos,
l’oreille aux aguets. En demeurant immobile au milieu du courant léger, on
pouvait presque les cueillir comme des fruits. Il en apportait chaque vendredi
un couple à sa bonne fée, afin que son maigre fût plaisant.
    Son humeur changea soudain, le laissant grave. Oh certes, il
donnerait sa vie pour sa bonne fée. Pourtant, il avait si peur de la mort
depuis qu’il avait couché dans le même lit, deux jours et trois nuits durant.
La mort-aux-yeux-ouverts le fixait, même dans son sommeil, il l’aurait juré.
Elle ne puait pas trop, il faisait si froid. C’était l’hiver... il avait oublié
l’année. Un hiver si implacable que tant étaient morts, même au manoir, même le
vieux chapelain et la demoiselle de sa bonne fée, celle qu’était grosse. La
dame de Souarcy avait autorisé la chasse sur ses terres, de cela, il se
souvenait fort bien puisqu’il avait piégé quelques lièvres. D’abord, il s’était
poussé contre la mort-aux-yeux-ouverts dans l’espoir de se réchauffer encore un
peu. En vain. À l’époque, il était bien petit et il ignorait que la mort aspire
toute chaleur. Lorsqu’ils  – les autres  – s’étaient enfin inquiétés
d’eux deux  – la mort et lui  –, ils avaient traîné la mort-aux-yeux-ouverts
dehors, la balançant dans une charrette, sur un tas d’autres cadavres. L’un
d’eux avait jeté :
    — Qu’est-ce qu’on va faire de l’idiot maintenant que sa
vieille a passé ? C’est une bouche superflue. Moi, j’dis qu’on le mène à
l’orée de la forêt et qu’y se débrouille.
    Une femme qui se tenait à l’écart avait protesté pour la
forme :
    — C’est pas chrétien ! Il est trop petit. Y va
claquer en rien de temps.
    — Y r’connaît pas sa tête de son cul, alors c’est pas
si grave que si c’était un de nous.
    — J’dis que c’est pas chrétien, avait insisté la femme
avant de s’éloigner.
    Il les dévisageait, le Gilbert de neuf ans, comprenant à
peine ce qu’ils tramaient, sentant juste qu’avec cette mère qui bringuebalait
juchée sur d’autres dépouilles, tout en haut d’une charrette qui s’ébranlait
sous la

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