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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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du manoir. Le coup de bec agacé et surprenant d’une de ses compagnes
qu’elle caressait lui sembla un mauvais présage.

 
     
Forêt de Béthonvilliers, non loin
d’Authon-du-Perche, juin 1304
    L’étalon magnifique s’immobilisa comme un marbre sous
l’injonction du mollet de son cavalier. Sa robe noire sans vice luisait de
sueur. Il souffla sans qu’un muscle de sa puissante encolure ne tressaille,
conscient que le centaure qu’il portait bandait son arc turquois, fait de deux
cornes de bœuf reliées par un ressort métallique.
    La flèche empennée, longue de trois pieds, fila en sifflant,
prenant d’assaut de ciel. Elle aurait pu poursuivre sa course longtemps, de
plus de cent mètres encore, mais se ficha dans sa cible qui écarta les ailes de
surprise, de douleur aussi, avant de tomber dans un tourbillon de plumes vers
le chasseur. Le cavalier démonta d’un saut et se baissa pour récupérer
l’oiseau. La flèche l’avait transpercé de part en part, pénétrant dans le
poitrail pour ressortir derrière l’attache de l’aile. La main gantée du
chasseur s’immobilisa à quelques centimètres de la belle gorge d’un rose tirant
vers le mauve qu’une nappe rouge vif venait d’ensanglanter. Une bague serrait
l’une des pattes fortes, et un message était enroulé à l’autre. Une moue de
déplaisir crispa la bouche du chasseur. Il venait d’abattre un pigeon messager,
une bête superbe que son propriétaire légitime regretterait. Belle prise, en
vérité ! Il allait devoir dédommager le seigneur ou le couvent dont
provenait le pigeon, en dépit du fait qu’il l’avait abattu sur ses terres. Une
nouvelle exaspération remplaça la première : sa vue baissait. Lui qui
avait été capable de suivre un faucon en chasse sans jamais le perdre du regard
finirait sous peu par confondre pigeon et faisane de Colchide ! La
dévastation sournoise de l’âge. Il constatait chaque jour davantage son travail
de sape. Bientôt quarante-trois ans. Certes, il n’était pas encore un
vieillard, ayant tout juste quitté jovant [57] .
Pourtant, ses articulations renâclaient après une longue journée de chevauchée,
et il n’avait plus goût aux nuits passées dehors à dormir par n’importe quel
temps. Si l’on se fiait à ce traité, Les Quatre Âges de l’homme, rédigé
quarante ans plus tôt par ce sieur de Novare, il lui restait encore quelques
belles années avant d’entrer en vieillece. Artus d’Authon déganta sa main
droite et en pinça l’épiderme. La peau hâlée par le grand air, tannée par des
décennies de maniement d’armes, s’était affinée et semblait vouloir abandonner
par endroits la chair qu’elle protégeait. Quant au poignet, il avait perdu de
sa musculature.
    — La peste soit des années, murmura-t-il entre ses
dents.
    Les ans avaient passé si vite et pourtant, il s’y était
terriblement ennuyé, un jour remplaçant l’autre, sans qu’au bout du compte, il
parvienne à les différencier.
    Né sous le règne de Louis IX [58] , il avait grandi sous celui de
Philippe III le Hardi, dont son père avait été le connétable durant quelques
années, avant de décéder prématurément. Il avait neuf ans lorsque Philippe
 – qui deviendrait le quatrième du nom  – était né. Il avait enseigné
au futur jeune roi les subtilités de la chasse, du maniement de l’arc.
L’inflexibilité, la dureté de celui qu’on gratifierait plus tard du surnom de
« le Bel » étaient déjà perceptibles. Il ferait un grand roi s’il
était bien conseillé — Artus en était convaincu  –, mais un roi qu’il
serait préférable d’admirer de loin. Aussi avait-il décliné l’honneur de
reprendre l’écrasante charge de son père, laquelle lui serait revenue grâce à
l’amitié du souverain, d’autant que son attribution était devenue presque
héréditaire. Artus avait ensuite chevauché de par le monde, combattu au hasard
de ses rencontres, de ses engouements, jusqu’en Terre sainte. Il en avait
retiré quelques élégants étonnements, quelques flamboyantes fureurs et nombre
de blessures qui se réveillaient maintenant par temps d’orage. S’il avait prêté
son intelligence et son épée au secours de causes, aucune ne l’avait assez
convaincu pour qu’il l’épouse tout à fait. Il était rentré en France sans avoir
subi la métamorphose qu’il espérait, pour replonger dans l’ennui répétitif des
jours qui se suivent et se

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