Les chemins de la bête
cour du manoir. Agnès n’attendit pas
sa main et se laissa glisser de selle contre le flanc d’Ogier, qui ne broncha
pas.
Mabile était accourue, d’une pâleur qui conforta Agnès dans
la conviction que cet homme-là était un atout qu’elle devait se ménager.
La fille se plia dans une profonde révérence. Ainsi, elle
l’avait déjà rencontré chez son maître.
— Permettez, monsieur, que je me change. Mabile vous
fera patienter de quelques rafraîchissements et d’une coupe de fruits frais.
— J’ai là, madame, commença-t-il d’un ton hésitant en
tapotant la carnassière de cuir pendue à sa selle, une nouvelle dont je suis
fort marri, croyez-le bien.
— Un gibier ?
— Une déplaisante erreur.
Il tira du carnier le pigeon maintenant raide, dont la gorge
douce était enlaidie par une nappe de sang séché.
— Vigil...
— Il vient donc bien de chez vous.
— Certes, murmura Agnès, luttant contre les larmes qui
lui noyaient le regard.
— Ah madame, je suis si désolé. Il volait au travers de
mes bois, j’ai décoché et...
Mabile se rua vers l’animal comme une folle, couinant :
— Je vais le prendre, madame, ne vous...
— Laisse !
L’ordre claqua. Agnès venait d’apercevoir le message enroulé
autour de la patte de l’animal.
— Laisse, je m’en charge.
La fille recula sous le regard perplexe du comte d’Authon. À
son œil fuyant, au tremblement de ses lèvres, Agnès comprit qu’elle était
l’auteur du message, mais parvint à rester impassible.
Un talisman. Cet homme lui offrait déjà un petit miracle,
car elle ne doutait pas que la missive fût adressée à Eudes, expliquant comment
communiquaient les deux complices : grâce au beau pigeon dressé,
généreusement offert par son demi-frère. Le chagrin de la perte de Vigil s’estompa
aussitôt, et elle se retourna en souriant vers celui qui ignorait l’importance
de l’aide qu’il venait de lui apporter.
— Je suis... une brute. Je vous conjure de me croire,
madame. J’étais certain qu’il s’agissait d’une petite faisane. Il volait assez
haut et...
— Monsieur, je vous en prie. Votre méprise me chagrine
car je tenais à l’oiseau, mais... d’aucuns n’auraient pas eu l’urbanité de me
ramener l’animal. Accordez-moi quelques instants. Je vous rejoins bientôt.
Elle serra Vigil contre elle et monta vers sa chambre.
Parvenue à l’étage, elle bifurqua et héla du bas de l’échelle précaire :
— Clément ? J’ai besoin de toi.
— J’arrive, madame.
Une petite cavalcade, aussi légère que celle d’une souris,
précéda l’apparition du visage en haut de la trappe.
— Vigil ?
— Oui. Descends. Il porte un message.
— Voilà donc leur lien !
— Le chasseur n’est autre que le comte d’Authon. Il
m’attend dans la grande salle. Presse-toi.
L’enfant dévala l’échelle et la rejoignit dans sa chambre.
Elle lui expliqua brièvement sa rencontre pour le moins imprévue, et dont elle
n’osait pas encore juger qu’elle était providentielle. Il l’écoutait un sourire
aux lèvres, démenti par la gravité de son regard pers.
— Changez-vous, madame. Je dégage la patte de l’oiseau.
Agnès hésitait. Elle n’avait que quelques minutes pour se
vêtir. Que choisir ? Pas cette robe de cérémonie qu’elle avait
confectionnée en taillant le somptueux coupon de soie offert par Eudes. Des
oripeaux luxueux ne suffiraient pas à charmer cet homme-là. Car elle devait le
charmer, son salut en dépendait. C’était un art dans lequel elle excellait,
pourtant, aujourd’hui, une inhabituelle appréhension l’entravait.
— Il s’agit d’un code, madame. Les lettres sont
figurées par des chiffres... sauf ceux-ci, qui sont romains... Probablement de
véritables nombres. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre leur
signification. XXIIX — XII — MCCXCXIV, 1294, ma date de naissance.
Mabile transmettait les renseignements recueillis sur le registre de la
chapelle. Peut-être se trouve-t-il dans ce message d’autres précisions qui nous
éclaireront sur leur plan.
Elle tourna la tête vers Clément, qui par pudeur fixait la
mince fenêtre ouvrant dans la muraille de sa penderie.
— Penses-tu parvenir à percer son mystère ? Il le
faut, Clément.
— Je vais m’y employer. Le plus répandu consiste à
utiliser un livre de référence, et il n’en est pas tant à Souarcy, surtout à
portée de la domesticité. Mon
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