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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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permettait par ailleurs de s’enrichir sur les autres  – dont ses
grands barons  – en pratiquant une usure à peine voilée, c’était un
moindre mal. Depuis son départ, Capella atermoyait : et s’il se rendait
seul à cette convocation, et s’il prévenait messire de Nogaret de l’étrange exigence
du chevalier ? Après tout, Giotto n’en était pas à une trahison près.
Pourtant, le souvenir des silences de Leone l’en dissuadait. Il y a dans les
silences bien plus d’aveux que dans les mots. Ceux de cet homme-là le
clamaient : il était de la race des fauves que l’amour de Dieu avait
convaincus de veiller sur Ses agneaux. Un fauve à la dangereuse pureté.
    Une soubrette affolée pénétra dans sa chambre et bafouilla
un incompréhensible :
    — Je... je... y veut rien savoir, mon maître, c’est pas
ma faute...
    Francesco de Leone apparut derrière elle et la congédia d’un
geste. Il détailla l’accoutrement de Giotto Capella. Un homme en chemise et
bonnet de nuit est moins coriace que le même habillé. Non que le chevalier
redoutât une quelconque résistance de la part du banquier lombard. Ses menaces
avaient impressionné Capella au point de lui jaunir la face un peu plus. Les
mettrait-il à exécution, le cas échéant ? Peut-être. On ne doit de pitié
qu’à ceux qui sont capables d’en éprouver, et celui-là avait monnayé le massacre
de tant d’hommes, de femmes, d’enfants pour lesquels il n’avait pas eu un seul
regard.
    — Lombard, quand arranges-tu ma rencontre avec
Nogaret ? demanda-t-il sans prendre la peine de saluer son hôte
récalcitrant.
    La coïncidence était trop énorme, et Capella comprit que le
chevalier avait entraperçu le messager du conseiller du roi.
    — J’attendais l’occasion.
    — Et ?
    — Elle m’est venue tout à l’heure.
    — Quand comptais-tu m’en avertir ?
    — Demain matin.
    — Pourquoi ce délai ?
    La douceur du ton du chevalier alarma Giotto, qui protesta
dans un pénible chuintement :
    — Qu’allez-vous imaginer !
    — Venant de toi ? Le pire.
    — C’est menterie !
    — Prends garde, usurier... J’ai déjà tué tant d’hommes
qui ne m’avaient rien fait. Toi, je te livrerai. Les bourreaux du roi ont pour
le supplice un... enthousiasme qui force le respect.
    L’ironie perceptible de cette sortie acheva d’inquiéter le
banquier. Il tenta de prouver sa bonne foi en expliquant :
    — Il est probable que nous soyons accueillis par
Guillaume de Plaisians. Le connaissez-vous ?
    — De réputation et bien vaguement. Il fut élève de
Nogaret à Montpellier, je crois, puis juge au tribunal royal de cette ville
avant de devenir juge mage de Beaucaire.
    — Ne vous y trompez pas. C’est la deuxième tête plantée
sur les épaules de messire de Nogaret. Il l’a rejoint l’année dernière au
service direct du souverain, comme légiste. Dans son cas, l’expression
« bras droit » serait approximative, car on se demande toujours qui
de Nogaret ou de Plaisians est le penseur d’une réforme. Les deux hommes sont
brillants, mais Nogaret n’est pas orateur, contrairement à l’autre qui vous
harangue une foule au point de lui faire perdre le nord et de la retourner
comme un gant. Je me souviens de sa diatribe l’année dernière contre Boniface
VIII. Remarquable et redoutable... Ajoutez à cette facilité oratoire leur
différence d’apparence. Guillaume de Plaisians est un beau gaillard. En bref,
il est homme à ménager tout autant que messire de Nogaret.
    Une question fugace traversa Francesco de Leone :
pourquoi le prieur Arnaud de Viancourt n’avait-il pas mentionné cette
« deuxième tête plantée sur les épaules de Nogaret », ainsi que
l’avait décrite Capella ?

 
     
Alentours de la commanderie templière d’Arville,
Perche, juillet 1304
    Le cheval noir de nuit piétinait. Son cavalier, ombre
dissimulée dans une cape de bure, scrutait la pénombre de la forêt à la
recherche de sa proie. Les serres de métal luisant qui terminaient sa main
droite se crispèrent sur les rennes. Le spectre se redressa sur sa selle et
exhala d’écœurement. Cette fois, ces imbéciles avaient choisi une fille, une
très jeune fille, comme messagère. Qu’espéraient-ils ? Qu’elle résisterait
mieux que les hommes qu’ils avaient sacrifiés jusqu’ici ? Des benêts.
Pourtant, le mépris du spectre meurtrier cédait peu à peu place à l’impatience,
peut-être même à

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