Les chemins de la bête
devant pas être la vertu principale de la servante,
peut-être avait-elle sélectionné un ouvrage lui correspondant davantage, en
français et aisé d’accès pour elle. Où le cachait-elle ? La ribleuse [76] se trouvait avec Agnès, ainsi qu’ils
l’avaient planifié plus tôt ce matin.
Adeline balayait les cendres de la grande cheminée lorsque
Clément pénétra dans la cuisine :
— Je cherche Mabile, mentit-il.
— L’est avec not’dame.
— Ah... Eh bien, je vais te tenir un peu compagnie en
l’attendant. Les corvées passent plus vite en bavardant.
— Ça, c’est ben vrai.
— Tu travailles beaucoup, notre dame est satisfaite.
Adeline releva le visage et une roseur l’illumina :
— Elle est bonne.
— Oui, elle l’est. Pas comme... Enfin, j’ai eu
l’impression que Mabile n’était pas très plaisante avec toi.
La bouche d’habitude molle de la fille se serra :
— L’est mauvaise comme une vraie gale.
— Pour sûr.
Adeline s’enhardit et renchérit :
— C’t’un furoncle à la fesse, celle-là ! Mais
laisse-moi te dire qu’un furoncle, ça fait mal au début, sauf que quand c’est
mûr tu le perces et hop, c’est fini. Et puis, c’est qu’elle s’prend pas pour du
jus de vase de nuit, celle-là ! Ces mines qu’elle fait... C’est pas parce
qu’elle se fait...
Adeline se figea net et jeta un regard affolé à Clément.
Elle en avait trop dit, et les éventuelles représailles de Mabile l’effrayaient
quand même.
— Ce n’est pas parce qu’elle se fait culbuter par son ancien
maître qu’elle doit péter plus haut que dessous son cul, acheva Clément pour la
mettre en confiance. Ça reste entre nous.
Un sourire de soulagement alluma la grosse face de la fille,
qui hocha la tête.
— En plus, comme elle sait un peu lire, elle se donne
des airs, poursuivit Clément.
— Ah ça... Moi, j’ai pas besoin d’lire pour savoir
préparer les mets. Mais elle... Toujours le nez dans son viandier [77] pour impressionner. Attention, c’est
vrai qu’elle est bonne cuisinière, j’dis pas, mais...
— Ah, ainsi elle possède un viandier ! s’exclama
Clément Moi qui croyais qu’elle savait tout cela...
— Hein, que c’est tricherie, approuva Adeline, parc’que
moi, ce que j’sais faire, c’est dans ma tête, pas dans un livre !
— Tiens, je voudrais bien savoir si c’est là-dedans
qu’elle a pêché la recette de sauce qui accommodait ce bourbelier de sanglier
qui a tant impressionné messire le comte d’Authon. Parce que si elle l’a imité
de quelqu’un, c’est sûr que le compliment ne lui revient pas.
— Ça, c’est vérité vraie, acquiesça une Adeline
satisfaite. C’est qu’elle le quitte pas son viandier, des fois qu’on s’rendrait
compte de ses duperies ! Elle le cache dans sa chambre.
— C’est pas Dieu possible !
— Si fait, opina Adeline, qui se rengorgeait de sa
soudaine importance. (Une lueur s’alluma dans son regard :) Mais j’sais où
t’est-ce.
— Je me doutais que tu étais futée !
— Pour sûr. L’est sous sa paillasse.
Clément discuta encore quelques minutes avec la fille puis
se leva.
La porte de la cuisine n’était pas refermée derrière lui
qu’il se ruait à l’étage des serviteurs. Il n’avait plus que quelques minutes
avant qu’Agnès ne soit contrainte de lâcher Mabile, qui devait s’étonner de
l’intérêt soudain que lui portait sa maîtresse.
Il trouva immédiatement le réceptaire culinaire dans la
cachette mentionnée par Adeline. Sur la première page avait été tracé :
« Recopié du sieur Debray, cuisinier de son très gra cieux et très
puissant sire Louis VIII le Lion. »
Le garçon hésita : devait-il le replacer sous le
matelas et attendre une nouvelle absence de Mabile pour le confronter au texte
du message, ou le subtiliser ? Le temps les pressait, et il opta pour la
deuxième solution. Si Mabile s’apercevait de sa disparition avant qu’il le
restitue, elle accuserait sans doute Adeline. Il conviendrait alors qu’Agnès
protège la pauvre fille de l’ire de la servante.
Il rejoignit ses combles comme une ombre, et s’attela
aussitôt à la tâche. Il devait faire vite. La guerre se précisait et de
surcroît, il lui fallait retourner au plus tôt à la bibliothèque secrète des
Clairets, tenter d’élucider un autre mystère : celui du journal du
chevalier Eustache de Rioux.
Palais du Vatican, Rome, juillet
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