Les chemins de la bête
d’eux.
Pourquoi, comment sentait-il qu’il lui fallait percer le mystère
du journal du chevalier Eustache de Rioux et de son corédacteur ? En quoi
les ratures, les interrogations, les tâtonnements de ces hommes qui étaient
peut-être décédés depuis longtemps pouvaient-ils les aider, Agnès et lui ?
Pourtant, un instinct difficile à analyser le poussait. Il ne comprenait rien à
ce charabia d’astrologie, d’astronomie, de calculs mathématiques, de
commentaires rageurs ou enthousiastes et de confidences tronquées :
La Lune occultera le Soleil le jour de sa naissance. Son
lieu de naissance est encore imprécis. Reprendre à ce sujet les paroles de ce
Varègue – un bondi, rencontré à Constantinople – qui faisait
commerce d’ivoire de morse, d’ambre et de fourrures.
Quelles paroles, où étaient-elles consignées ?
Cinq femmes, au centre la sixième.
Une figure géométrique, une métaphore ? Quoi ?
Le premier décan du Capricorne, le troisième de la Vierge
étant variable, quant au Bélier, quel qu’en soit le décan, il serait trop
consanguin.
S’agissait-il d’une naissance ? Et de qui ? À venir
ou passée ? Mais que signifiait « consanguin » dans le cas d’un
signe astrologique ?
Les premiers calculs étaient erronés. Ils n’ont pas pris
en compte l’erreur commise sur l’année de naissance du Sauveur. C’est une
chance, cette bévue nous donne un peu d’avance.
Se pouvait-il que l’on ait commis une erreur sur la date de
naissance du Christ ? Et une avance pour quoi faire ?
Clément feuilleta le long carnet, luttant contre
l’exaspération et le découragement.
Il fallait tout reprendre, repousser l’énervement, la
panique qui le menaçaient.
Qu’était ce dessin barré d’un trait sur lequel il butait
depuis des heures ? On eut dit une sorte de disque. Une colonne de
chiffres romains précédés d’initiales et de symboles le bordait dans chaque
marge. Les mêmes lettres revenaient à des positions différentes : T, So,
L, Me, Ma, V, J, Sa, GE1, GE2, As, accompagnées des symboles représentant les
signes du zodiaque. Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que
certaines des initiales désignaient les planètes, sauf GE1, GE2, As qui ne lui
évoquaient rien [85] ,
quant aux chiffres romains, ils figuraient les différentes maisons du zodiaque.
Les deux colonnes décrivaient des thèmes astraux ou des cartes du ciel. Clément
les compara. Leur similitude était presque parfaite, à l’exception de deux
planètes : Jupiter en Poissons et Saturne en Capricorne pour l’un, et
Jupiter en Sagittaire et Saturne en Poissons pour l’autre. Le Capricorne,
c’est-à-dire du 22 décembre au 20 janvier. N’eut été la gravité de l’heure, la
coïncidence l’aurait amusé. Il était né le 28 décembre à la nuit.
La première fois qu’il avait détaillé le croquis raturé, la
légende griffonnée dessous l’avait anéanti :
Équatoire [86] réalisé en suivant les descriptions de Ibn as-Samh, mathématicien arabe. Il s’agit
d’une conception née de l’absurdité soutenue par Ptolémée. Les chiffres obtenus
ainsi sont inutilisables puisque la Terre n’est pas immobile ! Ils se sont
donc tous fourvoyés.
Dieu du Ciel ! Une telle aberration était-elle
concevable ? Comment cela, la Terre n’était pas immobile ? En ce cas,
où se dirigeait-elle ?
Ptolémée, astronome et mathématicien grec, avait affirmé que
l’univers était fini et plat, ayant la Terre en son centre, immobile. Sa
voisine immédiate était la Lune. Suivaient, presque en ligne droite, Mars,
Vénus et le Soleil. Tout le monde s’accordait à reconnaître la justesse de ce
système, surtout l’Église, aussi les sœurs écolâtres en vantaient-elles la
pertinence. Comment se pouvait-il qu’Eustache de Rioux et son compagnon
d’écriture le qualifient d’absurdité ? Pourtant, le chevalier, du moins
l’écrivain aux lettres carrées et un peu raides, insistait en bas de
page :
Il convenait de reprendre tous les calculs en se fiant à
la théorie de Vallombroso, ce que nous avons fait.
Clément avait eu beau parcourir tout le carnet à plusieurs
reprises, il n’avait trouvé nulle autre mention de ce Vallombroso.
Au verso du croquis qui avait mérité l’ire de monsieur de
Rioux ou de son corédacteur, figurait une phrase qu’ils avaient souhaité faire
disparaître au point d’en
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