Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
être
ordonnée prêtre. Leur petite congrégation avait été dénoncée, mais la jeune
fille avait pu fuir de justesse. Se cachant, marchant de nuit sans trop savoir
où elle allait, quémandant un peu de pain contre quelques heures de travail, il
était inévitable qu’elle fasse une mauvaise rencontre. Deux brutes ivrognes
l’avaient violée, rouée de coups et laissée pour morte. Sybille se savait déjà
enceinte lorsqu’elle était arrivée à la tombée du soir devant le manoir. Agnès
l’avait accueillie, sans se douter qu’elle venait de devenir complice d’une
hérétique. Cependant, même si la toute jeune femme lui avait avoué sa foi, la
dame de Souarcy ne l’aurait pas fait chasser par ses gens. Agnès avait marqué
une courte pause avant d’énoncer le pire aux yeux de Clément : sa mère
n’avait pu tolérer l’idée de son âme enfermée dans une chair souillée. Elle
s’était laissée mourir de privations et de froid sur le sol de la chapelle, au
cours de cet hiver meurtrier de 1294.
    Gisèle, sentant que sa maîtresse ne parviendrait pas à
avouer le reste, avait conclu :
    — Elle t’a poussé hors d’elle en expirant. C’était le
28 décembre.
    Clément était assommé et de grosses larmes avaient dévalé de
ses yeux. Il avait lu dans le grand regard fixe d’Agnès qu’elle revivait ces
scènes de cauchemar. Elle avait passé une main tremblante sur son front avant
de reprendre d’une voix heurtée :
    — Tu n’es pas un garçon, Clément. C’est pourquoi nous
avons tant insisté pour que tu ne te baignes jamais avec les autres enfants des
serviteurs, que tu t’écartes d’eux et de leurs jeux...
    Il  – elle  – s’en doutait déjà, ayant constaté
que son corps ressemblait davantage à celui des fillettes.
    — Mais... pourquoi..., avait-il balbutié.
    — Parce que je n’aurais pu garder une orpheline de mère
à mon service. Tu serais devenue une des innombrables données à Dieu qui
finissent dans un couvent. Eudes de Larnay l’aurait exigé et je n’aurais pu m’y
opposer. Je ne le voulais pas pour toi... Ta naissance ne t’y aurait pas
réservé de place enviable. (Agnès avait fermé les yeux un court instant. Sa
voix semblait plus ferme lorsqu’elle avait repris :) Les orphelines de
petit sang n’ont d’autre choix que la servitude, parfois pire... mais tu es
encore trop jeune. Elles ne peuvent avoir accès au savoir, et leur vie est
d’une dureté que je souhaitais t’éviter... Si mon frère et ses semblables
venaient à apprendre ton véritable sexe... Plus tard. Il faut que tu
comprennes, petit Clément, que nul ne doit jamais connaître la vérité à ce
sujet. Jamais... Enfin... peut-être un jour plus faste viendra-t-il où... Ton
sort serait si cruel. Le comprends-tu ?
    — Oui, madame, avait-il bredouillé entre ses larmes.
    Il  – elle  – avait ensuite pleuré toute la nuit,
se demandant si cette mère à laquelle il avait tant songé, l’imaginant belle
comme une étoile et douce comme un rayon de soleil, avait aussi espéré qu’il
meure avant de naître. Que valait donc sa vie si nul, pas même sa mère, ne
l’avait souhaitée ? La question l’avait ensuite hanté durant des semaines,
avant qu’il ne trouve le courage de la poser à sa dame. Elle avait plongé son
regard dans le sien, incliné la tête sur le côté, son voile effleurant sa
taille, avant de sourire, un si beau sourire, si désespéré :
    — Ta vie m’est infiniment précieuse, Clément...
Clémence. Je te le jure sur mon âme.
    Il avait Agnès. Sa vie se résumait à celle de sa dame. Après
tout, elle le nourrissait, le protégeait comme l’eut fait une mère. Elle
l’aimait, il en était certain. Quant à lui, il l’adorait, tout simplement.
    Pour ce qui était du reste, cette inversion de sexe, au
fond, peu lui importait. Sa dame avait eu raison. Être une fille orpheline et
de petite naissance, enfantée par une hérétique, revenait à n’être rien, ou
pire que rien. Il continuerait de se penser au masculin pour sa sauvegarde et
celle d’Agnès. Et puis, la vie de garçon était tellement plus fascinante que
celle que l’on réservait aux filles...
    Clément essuya les larmes qui lui trempaient les lèvres et
le menton d’un revers de sa manche. Assez. Assez de cette mémoire. Le passé
était fini. Il fallait se consacrer à l’avenir. Il fallait se consacrer à vivre
alors même que tant de menaces s’amoncelaient au-dessus

Weitere Kostenlose Bücher