Les chemins de la bête
tiré les
ficelles de cette rébellion de Saisset contre le roi et non l’inverse, comme
nous l’avons toujours cru ?
— C’est cela. J’étais présent lors d’une des rencontres
entre le pape et l’évêque. Saisset était un pantin. Il suffisait d’agiter un
chiffon devant ses yeux pour qu’il charge.
— Doux Jésus, murmura Nogaret.
Il s’écoula quelques instants de silence puis le conseiller
reprit :
— Et... ces rumeurs qui me sont venues aux oreilles...
Francesco patienta. Il savait où voulait en venir Nogaret. Cependant, la
question était délicate et son vis-à-vis pesait chacun de ses mots tant
l’accusation qu’elle recouvrait était grave :
— Ces rumeurs... comment dire... épouvantables, selon
lesquelles Boniface se serait livré, lui ou l’un de ses acolytes, à la
sorcellerie pour affermir son pouvoir ?
Cette diffamation avait en effet couru. Leone n’y avait
jamais accordé aucun crédit. Il avait rencontré tant de faux sorciers, de
prétendus magiciens, de tous pays, de toutes peaux, et aucun qui pût démontrer
un pouvoir convainquant une fois confronté à l’épreuve de la lucidité et de la
science. En revanche, il connaissait l’origine des ragots sulfureux qui avaient
jeté une ombre supplémentaire sur la personnalité du précédent pape. L’espace
d’un bref instant, il se demanda si la manœuvre la plus efficace ne
consisterait pas à abonder dans le sens du conseiller. L’homme était d’une vive
intelligence théorique, mais l’univers occulte le rendait crédule. Un instinct,
mais également la nécessité de convaincre Nogaret de son absolue franchise afin
de gagner sa sympathie, l’en dissuadèrent :
— Franchement, je n’ai jamais assisté à rien de tel, ni
n’ai eu de raison de former ce genre de soupçons. Puis-je vous confier un
secret ?
— Certes, il sera en sécurité avec moi.
— J’ai remplacé auprès de Sa Sainteté un certain
Gachelin Humeau. C’était... ah, comment le décrire en peu de mots... Disons
qu’il avait du devoir, de l’honnêteté et de la reconnaissance, des notions bien
personnelles. Humeau était un parasite, un voleur sournois, un fouineur qui
aimait à déterrer de petits secrets pour les vendre aux plus offrants. Il a été
pris la main dans le sac après avoir dérobé quelques manuscrits de la
bibliothèque privée du pape. La disgrâce n’a pas tardé et elle était méritée.
Gachelin Humeau a disparu après s’être vengé comme il le savait, en clabaudant
contre Boniface et ses camerlingues.
L’histoire était partiellement vraie, et les faits s’étaient
produits non pas quatre, mais cinq ans auparavant.
Gachelin Humeau avait décidé d’arrondir les émoluments que
lui procurait sa charge de chambellan en dérobant – parfois sur commande
– divers objets précieux, et surtout des manuscrits uniques dont nul,
hormis le pape et les camerlingues, ne connaissait l’existence. Un inventaire
discret de la bibliothèque avait eu lieu afin de préciser quels livres avaient
été dérobés. Une bonne quinzaine, dont cinq se révélèrent être des exemplaires
uniques. Parmi ceux dont la perte était inestimable : un parchemin écrit
de la main d’Archimède*, dont Humeau affirmait qu’il contenait
d’extraordinaires avancées en mathématiques, un effrayant ouvrage de
nécromancie qu’il évoqua en se signant, et un traité d’astronomie dont le titre
peu évocateur était Théorie de Vallombroso. Le voleur jura que si le
contenu de ce dernier venait à être connu, l’univers entier serait ébranlé.
Gachelin Humeau s’était enfui avant d’être arrêté, redoutant, à juste titre,
que l’Inquisition ne parvienne à lui faire avouer la cachette dans laquelle il
protégeait ses précieux et redoutables larcins. Il les avait ensuite monnayés
dans le plus grand secret, amassant une somme considérable qui lui permettait
d’envisager sereinement l’avenir. L’un de ses clients n’était autre que le
chevalier Francesco de Leone, qui lui avait commandé puis acheté, à prix d’or,
deux ouvrages. C’était ainsi qu’il avait découvert l’endroit d’où reprendre sa
quête. Les manuscrits, leurs affolantes et magnifiques révélations étaient
maintenant en lieu sûr. Avant de disparaître tout à fait, Humeau avait tenu à
jeter son venin, empoisonnant un peu plus la réputation du pape.
Nogaret digéra les paroles de son secrétaire avant
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