Les chemins de la bête
de Bourgogne, fille
d’Othon IV, comte de Bourgogne, et de la comtesse Mahaut d’Artois, deviendra
son épouse. Le comté d’Artois est une permanente délicatesse... Alors celui de
Bourgogne ! Bref, il faut détailler toutes possibilités : les morts,
les naissances, les mariages, les annulations, les stérilités... le tournis, te
dis-je.
Sentant que monsieur de Nogaret regrettait sa mauvaise humeur
de tout à l’heure, le chevalier lui adressa un regard de commisération et
attendit la suite. Elle ne tarda pas :
— Il fait si sombre entre les gros murs tristes de la
citadelle du Louvre. Ne regrettes-tu pas la lumière romaine et les fastes du
palais papal ?
— La lumière naissante des petits matins romains...
Quelle pure merveille. (Le sourire conquis de Francesco mourut.) Certes, elle
me manque... Mais je ne regrette pas mes années au service de Boniface.
Le conseiller tenta de dissimuler sa curiosité en arrangeant
sa plume à écrire. Qu’il était piètre menteur et dissimulateur, songea Leone en
se morigénant. Il devait prendre garde de ne pas entrer en sympathie avec
Nogaret. Nogaret était l’ennemi, et il convenait de ne pas l’oublier. Celui-ci
tenta de feindre, sans grand succès, un intérêt de simple courtoisie :
— Vraiment ? Il s’agissait pourtant d’une fonction
bien honorifique et qui, de plus, n’était pas sans avantages matériels.
— En effet...
Leone simula à merveille l’hésitation, appâtant davantage le
conseiller :
— À mon tour, Francesco, de redouter l’indiscrétion.
Mais ton travail me satisfait grandement, et je crois que nous sommes partis
pour une longue et fructueuse collaboration. C’est donc un souci de... père qui
me fait soupçonner qu’autre chose que cette histoire de... dame a motivé ton
départ.
Leone écarquilla les yeux et le fixa comme si sa
perspicacité le suffoquait.
— En effet..., répéta-t-il.
— Je m’en voudrais de...
— Messire... si un roi juge votre honneur et votre foi
à la hauteur de son amitié, un modeste commis serait bien fou de ne pas vous
accorder sa confiance. C’est que... c’est si compliqué à confier. Car nous
sommes en confidence, n’est-ce pas ?
— Tu as ma parole, assura Nogaret, qui le pensait
vraiment.
Le cas échéant, et si elles se révélaient importantes, il
pourrait utiliser les divulgations de son secrétaire sans jamais nommer ses
sources. Ainsi ne trahirait-il pas sa promesse.
— Eh bien, voyez-vous, messire de Nogaret, il y a eu
tant de menteries, tant de machinations, tant de vilaines accointances sous le
règne de Boniface. Car il s’agissait bien d’un règne. Il voulait devenir
empereur, l’état de pape le laissant insatisfait.
Nogaret était convaincu de tout cela, en grande partie parce
que l’exécration qu’il éprouvait pour le défunt souverain pontife l’aveuglait
parfois. Toutefois, l’entendre de la bouche d’un chambellan, italien de
surcroît, qui avait servi Boniface durant des années, le confortait
aimablement.
— Et cela t’outrait ?
— Certes... mais je crains de vous déplaire en vous en
expliquant les raisons.
— Si tel est le cas, je te le dirai et nous éviterons à
l’avenir de confronter nos idées. Poursuis.
— Le royaume des âmes, la défense de notre foi, la
pureté de notre engagement envers Dieu, tout cela, selon moi, est placé sous
l’autorité et la sagesse du saint-père. En revanche... la construction, la
direction et la protection des États reviennent au roi ou à l’empereur. C’est
ce que Boniface refusait d’admettre.
Nogaret était de plus en plus satisfait d’avoir engagé le
neveu de Giotto Capella. Il approuva :
— C’est également notre sentiment. Mais tu évoquais de
vilaines accointances et des machinations...
— Oh oui...
Nogaret rongea son frein, attendant qu’il poursuive sans le
brusquer de peur de le voir se refermer comme une huître. Francesco de Leone
cherchait frénétiquement un mensonge convainquant. Pour qu’un mensonge soit
convainquant, il doit être simple, fondé sur des bases de réalité, et surtout
plaire à celui à qui on le destine.
— L’évêque de Pamiers, Bernard Saisset*... que le roi
Philippe a fait exiler après son complot contre lui...
— Oui ? Eh bien ?
— Saisset manquait de finesse, c’était un sanguin, un
être aisément manipulable.
La stupéfaction avait figé Nogaret :
— Tu veux dire que c’est Boniface qui a
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