Les chevaliers de la table ronde
il venait à peine d’en sortir. Il ne
possédait presque rien, mais malgré son dénuement, son cœur était riche d’audace
et de bravoure. Son seul défaut était sa pauvreté, et certains le lui faisaient
bien sentir, car les puissants, on le sait bien, font peu de cas des pauvres
gens.
Quand tous les chevaliers présents, pauvres ou riches, eurent
tenté l’épreuve, sauf lui, le roi, persuadé qu’il ne restait plus personne, dit
tristement à la jeune fille : « Je suis désolé, mais il te faudra
chercher ailleurs ta délivrance, car ici, me semble-t-il, tu ne pourras trouver
l’homme qu’il te faut. J’en suis très affligé, car je pensais que mes
compagnons et tous ceux qui viennent à ma cour avaient tous le cœur pur, exempt
de haine et de fausseté. Il faut croire que tous ont quelque chose à se
reprocher !
— Dieu m’est témoin, répondit la jeune fille, que j’aurai
fait tout ce qu’il fallait. Maintenant, je quitterai cette cour que fréquentent
tant d’hommes de mérite, tant de vaillants chevaliers, sans avoir trouvé d’aide !
Je ne sais où aller désormais puisque je n’ai rien obtenu ici, et il me faudra
endurer mon supplice aussi longtemps que Dieu le permettra ! »
Le roi Arthur était fort ennuyé. Il aurait tant voulu rendre
service à la jeune fille. Et, de plus, il était bien fâché qu’aucun des hommes
qui l’entouraient n’eût été capable d’accomplir un geste aussi simple que de
dénouer les attaches d’une épée. Il se retourna vers Merlin et lui dit :
« Viens à notre secours, puisque, toi, tu connais ce que nous ne
connaissons pas. » Merlin se mit à rire et dit : « Roi, tu te
désespères pour peu de chose, et toi, jeune fille, tu te décourages bien
facilement. Savez-vous qu’il y a ici un chevalier qui n’a pas voulu tenter l’épreuve ?
– Qui est-ce donc ? » demanda le roi. Merlin lui désigna le pauvre
chevalier qui demeurait dans un coin de la salle. « Le voici, dit-il, tu n’as
qu’à lui demander ! – Mais qui est-il ? reprit le roi. – Je ne
devrais pas te le dire, répondit Merlin, mais sache qu’il se nomme Balin. »
Arthur alla vers le chevalier pauvre et lui dit : « Pourquoi n’as-tu
pas voulu dénouer les attaches de cette épée ? – Roi, répondit le
chevalier, je ne vois pas ce que je pourrais faire de mieux que tous tes
compagnons. – Je t’ordonne, reprit Arthur, de tenter cette épreuve. »
Balin se dirigea vers la jeune fille. « Laisse-moi
essayer », lui demanda-t-il. La jeune fille, en le voyant si misérable et
si mal habillé, lui répliqua : « Je pense que cela sera inutile. Je
ne pourrai jamais croire que tu es le meilleur chevalier de cette cour qui en
compte tant de bons, et qui, pourtant, n’ont pas réussi à dénouer ces attaches ! »
Le chevalier Balin se mit en colère : « Jeune fille ! s’écria-t-il,
ce n’est pas l’apparence qui fait la personne ! Tu me méprises parce que
tu crois que je suis pauvre ! Mais j’ai été riche autrefois et il n’y a
personne à qui j’aie jamais refusé ma protection ! » Et, sans
attendre de réponse, il se pencha, prit les attaches de l’épée, en dénoua immédiatement
les nœuds et tira l’arme à lui. « Voilà qui est fait, dit-il, et
maintenant tu peux repartir quand il te plaira. Tu es délivrée de ton fardeau. Mais
moi, je garderai l’épée en souvenir de toi. Je l’ai bien méritée, me
semble-t-il ! » Il la dégagea alors du fourreau pour l’examiner. Elle
lui parut si belle et si solide qu’il lui sembla n’en avoir jamais vu d’aussi
précieuse.
« Chevalier, dit la jeune fille, tu m’as délivrée de
mon tourment et tu t’es couvert de gloire, car tu as prouvé que tu étais pur de
toute fausseté et de toute haine. Mais il n’était pas prévu dans les termes de
l’épreuve que l’épée te resterait. Je te demande donc de me la rendre, si du
moins tu es aussi courtois que ta prouesse le laisse supposer ! »
Mais le chevalier remit l’épée dans le fourreau et s’écria qu’il ne la rendrait
jamais quel que fût le jugement que l’on porterait sur sa conduite. « Alors,
je te préviens, dit la jeune fille, que tu l’emporteras à tes risques et périls !
Je sais que, du premier coup que tu frapperas avec elle, tu tueras l’homme que
tu aimes le plus au monde ! »
Balin lui répondit que sa décision était prise d’une façon
irrévocable, dût-il en périr lui-même.
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