Les chevaliers de la table ronde
tête et se dirigea vers le roi. « Seigneur, dit-il, voici la tête de la
plus perfide des femmes jamais venues à ta cour. Si elle était restée plus
longtemps ici, elle t’aurait causé, sache-le, bien d’autres tourments. Et j’en
connais beaucoup qui se réjouiront d’apprendre qu’elle est enfin morte et qu’elle
ne nuira plus jamais à personne !
— Balin ! s’écria Arthur, tu viens de commettre le
crime le plus grave dont un homme tel que toi puisse se rendre coupable ! Je
ne pensais pas qu’un hôte de cette cour eût assez d’audace pour me causer
pareille offense. Personne ne peut en effet me faire la plus grande honte que
de tuer devant moi une femme que j’avais prise sous ma protection. Puisqu’elle
se trouvait dans ma forteresse, elle ne devait rien redouter de personne, quelle
que soit la gravité de ce qu’elle a pu commettre. Tant qu’elle était dans cette
cour, elle devait se sentir protégée de tous dangers. Telle est en effet la
coutume qui règne ici, et que tu as été le premier à violer par orgueil et
vilenie ! Puisqu’il en est ainsi, je t’ordonne de quitter cette cour
immédiatement, sans espoir d’y revenir jamais, et sache bien que je n’aurai de
cesse de punir l’offense que tu m’as faite ! »
Balin comprit alors quelle faute il avait commise en tuant
la femme en présence du roi dans la forteresse de Kaerlion. « Ah ! seigneur !
cria-t-il en tombant aux genoux d’Arthur, je demande ton pardon, au nom de Dieu !
Je reconnais mon crime, mais je promets de le racheter par des actions honnêtes !
– Non », répondit le roi. Alors Balin se releva et dit : « Roi
Arthur ! Je m’engage à te donner la preuve de ma bonne foi ! Je m’engage
à te montrer dans les plus brefs délais que je n’ai jamais voulu attenter à ton
honneur ni à l’honneur de tous les compagnons de la Table Ronde ! »
Et, sans ajouter un mot, il sortit de la salle.
Le roi Arthur était alors en guerre avec le roi Escolan, qui
prétendait tenir ses terres de lui seul et qui envoyait chaque jour des troupes
ravager les terres de Bretagne. Le lendemain du jour où Balin était parti de
Kaerlion, le roi Escolan arriva et se présenta devant le roi Arthur. « Roi,
dit-il, je viens me remettre entre tes mains. Je suis contraint de le faire par
la vertu d’un de tes chevaliers qui a nom Balin et qui m’a vaincu en combat
loyal. » Arthur fit ainsi la paix avec le roi Escolan et se dit que Balin
avait bien œuvré pour le royaume.
Le surlendemain arriva un homme gigantesque qui se présenta
à Arthur comme le frère du roi Rion des Îles. Il se prosterna devant Arthur et
lui dit : « Roi, je viens me remettre entre tes mains. J’avais promis
de venger mon frère, le roi Rion, que tu as défiguré de ta propre main. Mais j’ai
été vaincu par un de tes chevaliers qu’on nomme Balin. Au terme d’un loyal
combat, il m’a renversé et, pour avoir la vie sauve, je lui ai juré ma foi que
je viendrais te trouver pour te reconnaître comme mon seigneur. » Arthur
fit donc la paix avec le frère du roi Rion des Îles. Et il demanda à Merlin de
venir le rejoindre. « Merlin, lui dit-il, que penses-tu de Balin, ce
chevalier pauvre, mais présomptueux, qui a commis le crime que tu sais en ma
présence, sur la personne de cette femme qui avait demandé sa tête ? – Tout
cela n’apportera rien de bon au royaume de Bretagne, répondit Merlin. – Mais, reprit
le roi, Balin a donné les preuves de sa loyauté et de son repentir. Ne crois-tu
pas qu’il serait bon de lui accorder mon pardon et de l’admettre parmi mes
compagnons ? – Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, répondit
Merlin. Avant de le faire, je te conseillerais plutôt d’observer le comportement
de Balin. Ne sais-tu pas que, dans son pays, on le nomme Balin le Sauvage ?
Et tout le monde sait qu’il est cruel et impitoyable, bien qu’il soit bon
chevalier et capable de grandes prouesses. Mais si tu m’en croyais, tu le
laisserais aller sa vie. Il ne peut rien t’apporter qui ne te soit
préjudiciable. – Pourtant, reprit Arthur, j’ai besoin d’hommes comme lui, et je
serais bien heureux s’il acceptait de se joindre à nous. – Fais ce que tu veux,
répondit Merlin, je ne peux rien te dire de plus. »
Arthur commanda qu’on préparât ses armes. Il voulait aller
rejoindre Balin le Sauvage et voir comment celui-ci se comportait. Il partit de
Kaerlion, avec quelques compagnons
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