Les chevaliers de la table ronde
frère du roi Pellès.
« Je suis sûr que tu as raison, lui dit le vavasseur en
se signant. Je connais bien ce Garlan. Il y a moins d’un an, il m’a tenu des
propos qui me laissent tout lieu de croire que c’est bien lui qui a blessé mon
fils. Nous nous sommes trouvés en effet, mon fils et moi, à un tournoi, et je l’ai
abattu à deux reprises devant toute l’assistance. Or, lorsque cet homme, qui
est bien plus puissant que moi, s’est rendu compte qu’il ne pourrait venger l’affront
qu’il avait subi, il a déclaré qu’il m’atteindrait dans l’année même à travers
ce que j’avais de plus cher. Il a bien tenu parole, me semble-t-il, puisqu’il a
blessé mon fils que j’aime plus que tout au monde. – Ah ! Dieu ! s’écria
Balin. Comment faire pour retrouver ce Garlan ?
— C’est chose facile, répondit le vavasseur. Le roi
Pellès tiendra dimanche une cour plénière dans le Château Périlleux, qui se
trouve à quelques lieues d’ici. Et je sais que Garlan doit servir à table, au
cours de cette fête à laquelle assisteront tous les barons du royaume. Si tu
veux retrouver Garlan, sois donc certain que c’est à cette occasion que tu le
pourras ! – Bien dit, mon hôte, répondit Balin, crois bien que je serai au
rendez-vous ! »
La jeune fille intervint alors : « Cher hôte, demanda-t-elle,
penses-tu que ton fils puisse guérir ? – Je ne peux rien dire à ce propos
tant il me paraît gravement blessé. Pourtant, un homme âgé, à qui j’ai donné l’hospitalité
hier, m’a dit qu’il pourrait guérir, mais pas avant que sa plaie ne soit ointe
du sang de celui qui l’a blessé. Je lui ai alors demandé qui lui avait appris
cela, et il m’a répondu que c’était Merlin, le sage devin, qui lui avait donné
ordre de me le dire, en ajoutant que mon fils ne pourrait pas guérir autrement.
– Cher hôte, dit Balin, si ton fils doit guérir de cette façon, sois certain qu’il
le sera, car j’entends bien verser le sang de celui qui m’a causé si grand tort ! »
Balin et la jeune fille demeurèrent trois jours chez le vavasseur.
Le dimanche matin, Balin se leva avec le jour et entendit la messe sur place, car
il y avait une petite chapelle dans la demeure. Ensuite, il s’équipa et reprit
sa route avec la jeune fille et son hôte. Ils arrivèrent ainsi au Château
Périlleux où le roi Pellès tenait sa cour, et ils y entrèrent en début de
matinée. La fête était ainsi organisée qu’aucun chevalier ne pouvait venir à la
cour s’il n’amenait avec lui sa sœur ou son amie. Balin pénétra dans l’enceinte
avec la jeune fille ; mais l’hôte, qui n’était pas accompagné, dut rester
au-dehors, à son grand déplaisir.
Dès que Balin fut à l’intérieur de la forteresse, il se
trouva au milieu d’une foule considérable de chevaliers. Mais les gens du
château, s’apercevant qu’il était armé, s’empressèrent pour l’aider à descendre
de cheval et l’emmenèrent dans une petite salle, ainsi que la jeune fille. Ils
le désarmèrent rapidement et lui donnèrent des habits tout neufs, parfaitement
appropriés, car il y avait sur place tout ce qu’il fallait. Mais on ne put obtenir
de lui qu’il déposât son épée. Bien au contraire, il la garda à son côté, affirmant
que la coutume de son pays était telle que jamais un chevalier ne mangeait en
pays étranger, à la cour d’un roi, sans avoir son épée. Si les gens du château
ne voulaient pas se plier à cette coutume, il s’en retournerait d’où il venait.
Les autres finirent par céder et le conduisirent dans la grande salle où se
tenait l’assemblée.
Au moment de se restaurer, quand les tables furent installées,
chacun prit place, sauf ceux qui avaient été désignés pour faire le service. Quand
il se fut assis, Balin demanda à son voisin de gauche qui était Garlan, le
frère du roi Pellès. « C’est celui-ci, lui répondit le voisin en lui
désignant un homme à la chevelure rousse. C’est le chevalier le plus extraordinaire
qui soit ! – Et pourquoi cela ? dit Balin. – Parce que, lorsqu’il est
armé et sur son cheval, personne ne peut le voir, aussi longtemps qu’il désire
se dérober aux regards des autres. » Et ils commencèrent à se restaurer.
Cependant Balin se trouvait dans un cruel embarras. Qu’allait-il
faire ? Tuer le meurtrier de son compagnon devant toute l’assistance et le
roi Pellès ? Il ne voyait pas comment il pourrait
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