Les chevaliers de la table ronde
chevalier en éprouvait tant de peine et de douleur qu’il
aurait ardemment souhaité que la foudre du ciel s’abattît sur lui. Il
comprenait bien qu’il avait causé, par ses actes irréfléchis, tant de maux à
ces gens que personne, sauf Dieu lui-même, ne pourrait lui rendre son bonheur
de vivre. Il chevaucha ainsi cinq jours, et toutes les terres qu’il parcourait
étaient également dévastées et détruites, et leurs habitants plongés dans la
détresse. Chaque soir, il dormait dans des ermitages qu’il trouvait sur sa
route, au plus profond des forêts séculaires, et chacun des ermites qui l’accueillaient
lui répétait : « Seigneur, nous ne t’acceptons que pour l’amour de
Dieu et pour honorer l’ordre de chevalerie. Mais nous savons bien que c’est toi
qui, sans que nous l’ayons mérité, nous as plongés dans la misère et la désolation.
Et ce n’est pas toi qui nous en sauveras ! » Il ne trouvait rien à
répondre à leurs reproches, et il s’en allait de plus en plus triste et
désespéré.
À force de chevaucher ainsi, il parvint dans des régions
plus accueillantes. Les prairies étaient vertes, et de nombreux troupeaux y
paissaient. Les vergers étaient fournis, les granges pleines, et les cités
regorgeaient de marchandises. Là, les habitants ne faisaient pas attention à
lui et personne ne le maudissait lorsqu’il traversait un village. Mais il continuait
son chemin, ne sachant pas où il allait, l’esprit agité de sombres pensées. Mais,
alors qu’il suivait un sentier dans la forêt, il vit un beau cheval attaché
dans une clairière, et, à côté, un homme à genoux sur l’herbe et qui se
lamentait.
« Dieu te sauve ! dit Balin. Pourquoi ce chagrin ?
Puis-je faire quelque chose pour toi ? » L’homme se releva et lui
répondit : « Personne ne peut plus rien pour moi. Ma vie est finie, et
je vais me tuer avec cette épée. – Pour l’amour de Dieu, dit Balin, ne commets
pas cette action ! » Mais l’autre ne semblait pas entendre. Il
continua de se lamenter : « Ah, fille traîtresse ! disait-il en
sanglotant, tu seras la cause de ma mort. » Et il allait se frapper avec
son épée quand Balin lui saisit le bras et lui arracha son arme. « Laisse-moi,
dit l’autre. Je veux mourir ! » Balin lui dit : « Avant que
tu n’accomplisses l’irréparable, dis-moi au moins la raison de ton désespoir. –
Qui es-tu ? demanda l’homme. – Je me nomme Balin le Sauvage. – Le
chevalier aux deux épées ! J’ai entendu dire que tu étais le meilleur
chevalier du monde ! – Hélas ! dit Balin, je suis aussi le chevalier
le plus malheureux qu’on ait vu sur cette terre ! Et toi, qui es-tu ?
– Mon nom est Garnish de la Montagne. Je suis le fils d’un homme pauvre, mais
je suis devenu chevalier par prouesse et vaillance et j’ai obtenu des terres de
mon seigneur. Ce seigneur a une fille dont je suis devenu follement amoureux. Elle
a répondu à mon amour, mais elle n’était pas sincère, je le vois bien, car elle
se rit de moi et se conduit comme une ribaude !
— Et si je te réconciliais avec elle ? dit Bali – Tu
ne le pourras pas, répondit Garnish. – Je veux quand même essayer. Où se trouve
celle que tu aimes ? – Dans un manoir, à quelques lieues d’ici. – Viens
avec moi », dit Balin.
Garnish de la Montagne remonta sur son cheval et suivit Balin.
Après avoir parcouru quelques lieues, ils se trouvèrent en face d’un beau
manoir de pierre grise, entouré de hauts murs. « C’est ici qu’elle réside »,
dit Garnish. Balin lui répondit : « Attends-moi ici. Je vais entrer
dans le manoir, je la chercherai et je lui parlerai en ton nom. – Elle n’est
peut-être pas là en ce moment ! » soupira Garnish. Mais Balin n’attendit
plus. Il pénétra dans le manoir, descendit de son cheval et alla de chambre en
chambre. Tout était vide. Pourtant, il y avait de beaux meubles et des
tapisseries de grand prix. Une table était dressée dans une salle, couverte de
nourriture et de breuvages. Balin continua d’avancer et se trouva dans le
verger. Là, il vit, sous un laurier, la fille allongée sur l’herbe verte, tendrement
enlacée avec un homme. Tous deux dormaient et ne se réveillèrent pas lorsque
Balin passa auprès d’eux. Alors il revint sur ses pas et s’en alla rejoindre
Garnish. « Les femmes ne valent pas la peine d’être aimées, dit-il. Je
vais te donner la preuve que la femme que tu aimes
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