Les chevaliers de la table ronde
réussir à s’échapper
sans être tué lui-même ou mis en pièces. Et pourtant, il ne retrouverait pas
une telle occasion de se venger. Il était dans une telle angoisse qu’il ne
mangea ni ne but, tout occupé à réfléchir. Il demeura ainsi pendant toute la
durée du service, et il aurait fort bien pu quitter la table sans avoir rien bu
ni mangé. Mais Garlan le roux, qui faisait le service et qui s’en était bien
aperçu, en prit ombrage, persuadé que le chevalier agissait ainsi pour marquer
son mépris. Il s’approcha donc de lui, la main levée, et il le gifla avec une
telle force que le visage de Balin en devint tout rouge. « Chevalier, dit
Garlan, relève la tête et mange comme tout le monde ! Ainsi l’ordonne le
sénéchal ! Et maudit soit celui qui t’a appris à t’asseoir à une table de
chevaliers et à rester ainsi plongé dans tes pensées ! » Balin était
si furieux d’avoir été ainsi frappé qu’il en perdit tout sang-froid et tout
sens de la mesure. « Ha ! Garlan ! s’écria-t-il, ce n’est pas la
première douleur que tu m’infliges ! – Eh bien, dit l’autre, qu’attends-tu
donc pour te venger ? »
Balin se dressa tout droit, mit la main à son épée et dit :
« Garlan, je suis le chevalier que tu as attiré jusqu’à toi depuis la cour
d’Arthur, au prix de mille tourments. Mais, désormais, tu ne frapperas plus un
homme de bien à la table d’un roi et tu ne tueras plus de chevalier par magie
et trahison ! » Et, aussitôt, il lui donna un tel coup d’épée sur la
tête qu’il le fendit en deux jusqu’à la poitrine et l’abattit à terre. « Mon
hôte ! s’écria-t-il alors, viens prendre le sang de Garlan pour guérir ton
fils ! » Puis il se tourna vers la jeune fille : « Donne-moi
le tronçon de lance avec lequel a été frappé le chevalier devant la tente du
roi Arthur ! »
La jeune fille le lui tendit aussitôt car elle l’avait
conservé dans ses vêtements. Balin le saisit, bondit de la table et en frappa
Garlan, qui gisait déjà raide mort, avec une force telle qu’il le transperça de
part en part. Puis il s’écria à haute voix pour que tous les assistants pussent
l’entendre : « Peu m’importe ce que l’on fera de moi, car ma quête
est terminée et j’ai accompli la vengeance que je devais accomplir pour mon
honneur et l’honneur du roi Arthur ! »
Il y eut un grand brouhaha dans la salle. Chacun voulait courir
aux armes et se ruer sur Balin. Mais le roi Pellès fit faire silence. Il s’écria :
« Que personne ici n’ait assez d’audace pour porter la main sur cet homme,
car c’est à moi de venger la mort de mon frère ! » Le roi Pellès
était en effet un très bon chevalier. C’était aussi un homme d’une grande piété
et, à cette époque, on ne connaissait personne dans toute l’île de Bretagne qui
fût plus aimé de Notre Seigneur [129] . Tout à la douleur et à
la colère que lui causait la mort de son frère Garlan, il se disait qu’il
viendrait facilement à bout du meurtrier. Il courut saisir un grand bâton qui
se trouvait au milieu de la salle et le brandit pour aller frapper Balin. Mais
lorsque celui-ci vit fondre sur lui le roi, loin d’esquiver le coup, il brandit
à son tour son épée. Cependant le roi, en l’attaquant de biais, assena sur l’épée
de son adversaire un coup tel qu’il la brisa au niveau de la garde et que la
lame tomba à terre, ainsi que le pommeau. C’était l’épée que Balin avait
détachée de la ceinture de la jeune fille, à la cour du roi Arthur.
Lorsqu’il se vit ainsi démuni, Balin se précipita hors de la
salle pour trouver une autre arme. Il alla ainsi de chambre en chambre, mais
sans rien découvrir qui pût lui être utile. Et le roi Pellès le poursuivait
avec acharnement. Finalement, il pénétra dans une chambre très belle et
tapissée de riches tentures. Il y avait là le plus beau lit du monde, tout
recouvert d’étoffes de soie d’or, et un homme y était étendu. À côté du lit se
trouvait une table d’or pur, et, sur la table, une lance extrêmement bien
travaillée. Dès qu’il vit la lance, Balin s’en saisit et se retourna contre son
adversaire. Il atteignit alors Pellès à la cuisse et le frappa avec une telle
force que le roi tomba à terre, évanoui. Au même moment, les murailles du
château se fendirent, le château vacilla et s’écroula. Balin tomba lui aussi à
terre, incapable de faire le moindre
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