Les chevaliers de la table ronde
quoi s’agit-il ? demanda Balin. – Je vais
vous le dire, répondit la femme. La dame qui est notre maîtresse, en cette forteresse,
a été récemment atteinte de cette maladie si horrible et si pénible qu’on
appelle la lèpre, et son état est très grave. Nous avons tout essayé pour la
guérir, mais Notre Seigneur en a décidé autrement. Nous avons cherché conseil
partout où nous le pouvions, mais en vain. Seul un vieil homme nous a dit ce qu’il
fallait faire : oindre notre maîtresse d’une écuelle de sang d’une jeune
fille vierge, par ailleurs fille de roi ou de reine, ou de très haut baron. C’est
pourquoi nous avons juré que toute jeune fille qui passerait ici devrait donner
une écuelle de son sang pour guérir notre dame. C’est tout ce que nous
demandons et, demain matin, la jeune fille et toi, chevalier, vous pourrez repartir
où bon vous semblera. Sache que nous n’avons nulle mauvaise intention, ni à l’égard
de cette jeune fille ni envers toi. »
Balin, qui n’en pensait pas moins, se résigna à accepter la
coutume. Tout le monde se dirigea vers la forteresse. Quand on fut arrivé à la
tour principale, on fit désarmer le chevalier. Il ne voulait pas s’attarder, mais,
cédant aux prières de la jeune fille, il accepta de passer la nuit, uniquement
pour voir ce qu’il adviendrait d’elle. Arrivèrent alors six servantes qui
délacèrent les manches de la jeune fille et lui dirent qu’elles allaient lui
prendre la quantité de sang qu’elles jugeraient nécessaire. Elles firent
aussitôt jaillir le sang des deux bras et en recueillirent autant qu’elles
voulurent, tandis que la demoiselle s’évanouissait sous l’effet de l’hémorragie.
Puis les servantes emmenèrent la jeune fille dans une chambre pour l’y laisser
se reposer.
Balin passa une très mauvaise nuit tant il redoutait que la
jeune fille ne mourût. Il ne voyait pas comment il pourrait poursuivre sa quête
sans elle, car il ne savait pas où chercher celui qui avait tué le chevalier
devant la tente du roi Arthur. Et il avait compris que son adversaire avait le
pouvoir d’être invisible à tous, mais seulement pendant qu’il se tenait sur son
cheval : l’enchantement cessait dès qu’il mettait pied à terre. Balin passa
ainsi la nuit à trembler pour la vie de sa compagne. Mais, le lendemain, dès le
lever du jour, lorsqu’il alla la rejoindre dans sa chambre, elle lui parut en
très bonne forme. Il ne perdit pas de temps, s’en alla prendre ses armes et
seller son cheval. Après quoi, il monta en selle, et la jeune fille également. Mais
elle était cependant très pâle et très amaigrie par le sang qu’elle avait perdu.
Et tous deux quittèrent la forteresse, vouant à tous les diables ceux qui l’habitaient.
Ils chevauchèrent quatre jours durant sans rencontrer d’aventure.
Chaque jour, ils s’éloignaient de plus en plus de la cité de Camelot et la
langue qu’on parlait autour d’eux devenait si différente qu’ils comprenaient
peu de chose à ce qu’on leur disait. Un soir, ils furent hébergés à l’orée d’un
bois par un vavasseur qui leur parut un homme de bien et qui les reçut le plus
chaleureusement du monde. Or, alors qu’on venait de s’asseoir pour le dîner, Balin
perçut, venant d’une des pièces de la demeure, la voix d’un homme qui gémissait
pitoyablement. Les plaintes continuèrent tout au long du dîner. À la fin du
repas, Balin demanda à son hôte qui était celui qui se plaignait ainsi. « Je
ne te cacherai rien, répondit le vavasseur. C’est un de mes fils qui souffre
énormément d’une blessure qu’il vient de recevoir. Et il a été frappé de
manière si subite qu’il n’a pu voir celui qui l’a blessé. Pourtant, cela s’est
passé vers midi, et il n’y avait autour de lui ni murs ni arbres, où son
agresseur aurait pu se dissimuler. Je pense donc que cela s’est produit sous le
coup d’un enchantement. – Non, mon hôte, répliqua Balin. Il s’agit en fait d’un
chevalier qui peut rester invisible aussi longtemps qu’il le veut tant qu’il
est sur son cheval. Apprends qu’il m’a fait encore pire qu’à ton fils, car il a
tué ainsi un chevalier qui était sous ma protection, ce qui me cause autant de
douleur que si c’était moi qu’il avait blessé à mort. » Et Balin lui fit
le récit de ses aventures et lui donna les raisons de sa quête à la recherche
du meurtrier. Enfin, il lui révéla son nom, Garlan,
Weitere Kostenlose Bücher