Les chevaliers de la table ronde
mouvement, tandis que la plupart des
habitants du château gisaient sous les décombres, frappés à mort par le coup douloureux .
Le roi Pellès et Balin demeurèrent ainsi pendant deux jours.
Le matin du troisième jour, Merlin posa sa main sur l’épaule de Balin. « Balin !
lui cria-t-il, réveille-toi, ouvre les yeux ! – Ha ! Dieu, dit Balin,
où suis-je ? – Tu es encore chez le roi Pellès où tu as causé une telle
catastrophe que désormais tous ceux qui te reconnaîtront te manifesteront leur
haine et leur désapprobation ! »
Balin ne répondit rien. Il savait très bien que Merlin avait
raison. Mais il finit par lui demander comment il pourrait sortir du Château
Périlleux, puisque sa quête était terminée. « Tu crois donc que ta quête
est terminée ? s’écria Merlin. En vérité, tu ne sais pas ce que tu dis. Mais
peu importe ! Suis-moi et je te guiderai jusqu’à ce que tu sois sorti de
ce château. Si ses habitants te reconnaissaient et apprenaient que tu es le
responsable de la catastrophe qui les a frappés, personne au monde ne pourrait
les empêcher de te mettre en pièces avant même que tu aies atteint la porte d’enceinte !
– Sais-tu ce qu’est devenue la jeune fille qui était avec moi ? demanda
encore Balin. – Oui, répondit Merlin, je le sais. Tu peux le voir toi-même :
elle est au milieu de cette salle, et c’est toi qui l’as tuée ! »
Balin était consterné par ce que lui apprenait Merlin. Il se
releva péniblement et suivit Merlin. Une fois dans la cour, ils aperçurent un
grand nombre de gens, malades, estropiés ou morts. « C’est toi qui es
responsable de tout cela, dit Merlin. Rends-toi compte de ce que tu as fait !
– Les choses sont ainsi, répondit Balin, et l’on ne peut plus revenir en
arrière. – C’est vrai, murmura Merlin, mais tu aurais pu y penser avant. »
Ils traversèrent le bourg et arrivèrent aux murs d’enceinte
qu’ils franchirent sans encombre, car il n’y avait personne pour garder les
portes. Balin portait toujours son bouclier, sa lance et toutes ses armes, car
il n’avait rien laissé dans le château, même son épée qui s’était brisée et qu’il
avait retrouvée intacte. « Tu as perdu ton cheval, lui dit Merlin. – C’est
vrai, je ne sais pas ce qu’il est devenu. Il faudra donc que j’aille à pied, me
semble-t-il – Non pas, dit Merlin. Si je peux faire quelque chose pour toi, je
le ferai volontiers. Attends-moi ici, je reviens dans un instant. »
Merlin retourna donc dans le château et rôda par toutes les
cours. Il finit par découvrir un bon cheval bien robuste qu’il vint présenter à
Balin sans que personne, sur son chemin, lui eût fait la moindre opposition. Balin
se mit aussitôt en selle. « Sais-tu pourquoi je te témoigne tant de
bienveillance ? dit Merlin. Sache bien que ce n’est pas pour toi que je le
fais, mais pour l’amour du roi Arthur qui a besoin de bons chevaliers comme toi.
Car, si tu ne me connais pas, je vais te dire qui je suis : mon nom est
Merlin et tu as certainement entendu parler de moi. Et maintenant, il faut nous
séparer, car je ne peux plus rien pour toi. Va donc à la grâce de Dieu. Qu’il
te guide sur les chemins tortueux que tu aimes emprunter et qu’il te protège du
malheur où que tu ailles ! »
Balin piqua des deux et s’éloigna vers le fond de la vallée,
tandis que Merlin rentrait dans le Château Périlleux. En longeant la muraille, Balin
reconnut le cadavre de son hôte, le vavasseur, qui avait été tué par l’écroulement
d’un créneau. Cette découverte l’affligea profondément, et il se sentit
coupable des plus grands crimes. Il contempla longuement le corps de cet homme
qui l’avait reçu avec tant de bonté, puis il reprit sa route. Mais au fur et à
mesure qu’il parcourait le pays, il découvrait des arbres abattus et des
moissons détruites. Tout était dévasté comme si la foudre était tombée partout.
Dans les villes qu’il traversait, la moitié des gens, bourgeois ou chevaliers, gisaient
morts dans les rues, et dans les champs il apercevait les cadavres des paysans
abandonnés aux oiseaux de proie. C’est depuis ce temps-là que le royaume de
Listenois fut appelé le Gaste Pays , ou encore
la Terre Foraine [130] parce qu’il était devenu si différent des autres pays et si désolé. Et lorsque
Balin traversait des villages, les survivants le maudissaient, appelant sur lui
la vengeance de Dieu.
Le
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