Les chevaliers de la table ronde
qui avait deviné tout ce qu’ils
avaient dit et qui avait revêtu l’aspect d’un moine blanc. Il s’approcha des
deux hommes et les salua : « Vous vous êtes juré de rester ensemble
quoi qu’il advienne, leur dit-il, mais cela ne durera pas aussi longtemps que
vous le pensez. Votre séparation est proche. – Qu’en sais-tu ? »
demanda Balin. Merlin se mit à rire et dit : « Sur ce point, je n’en
dirai pas davantage aujourd’hui, mais je vais vous apprendre autre chose que
vous avez grande envie de savoir. Celui que vous recherchez, celui qui a tué
devant la tente du roi le chevalier qui était sous ta protection, Balin, c’est
un homme dont le nom est Garlan, et c’est le frère du roi Pellès. – J’ai
entendu parler de Pellès, dit Balin, mais j’ignore tout de ce Garlan. Mais, à
présent, puisque je sais son nom, j’ai toutes les chances de le retrouver.
— Je ne te le conseille pas, dit Merlin. Tu ferais
mieux de revenir en arrière et d’abandonner cette quête. Si tu la mènes à bien,
tu frapperas en effet de la lance vengeresse un coup qui déchaînera de telles
souffrances et de tels malheurs sur le royaume de Bretagne qu’il sera encore
plus désastreux que le coup d’épée qui a mis un terme à la vie du roi Uther
Pendragon. Le crime ainsi commis, ni toi ni un autre ne pourrez le réparer ;
mais il causera, de façon indirecte, la ruine de ce royaume et plongera ses
habitants dans la souffrance et le désespoir. Toi-même, toi qui déclencheras de
telles catastrophes si tu vas où t’entraîne ton désir de vengeance, tu mourras
dans les plus grandes douleurs. – Pourtant, dit Balin, même si je dois y trouver
la plus ignominieuse des morts, je poursuivrai ma quête et je l’achèverai, quoi
qu’il puisse arriver. Et quelles que soient les catastrophes que je déchaînerai,
je ne renoncerai pas à venger le chevalier qui a été tué alors qu’il était sous
ma protection. – Certes, tu le vengeras, dit Merlin, mais sache qu’en le
vengeant, tu le paieras si cher par la suite qu’il serait préférable que tu
fusses mort dès maintenant ! »
Ayant dit ces mots, Merlin s’enfonça dans les bois. Les deux
chevaliers continuèrent leur route ; mais, derrière eux, Merlin les
suivait à distance, car il voulait savoir ce qu’il adviendrait d’eux. Ils
parvinrent ainsi près d’un ermitage. Devant l’ermitage s’étendait un cimetière
que traversait la route qu’ils devaient emprunter. Ils pénétrèrent donc dans le
cimetière. Balin marchait au-devant, très préoccupé par ce que lui avait dit
Merlin, qu’il n’avait d’ailleurs pas reconnu ; et son compagnon le suivait,
tout à sa joie de participer à cette quête. Or, quand ils furent au milieu du
cimetière, ce dernier poussa un cri perçant, comme un homme profondément blessé.
Balin se retourna et vit son compagnon qui gisait sur le sol. Il sauta de son
cheval et vint vers lui. Il s’aperçut alors que le chevalier, tout comme le
précédent, avait été blessé par une lance, mais avec plus de force encore. Et, cette
fois, la lance était intacte. Balin délaça aussitôt le heaume de son compagnon,
mais il se rendit compte qu’il était déjà mort. Il regarda autour de lui, mais
il ne découvrit aucune trace de celui qui avait pu lancer ce coup mortel.
« Ah ! Dieu ! s’écria-t-il, quelle douleur est la mienne de ne
pas savoir qui est l’homme qui, deux fois de suite, m’a déshonoré ! »
Tandis qu’il se lamentait ainsi, le saint homme qui occupait
l’ermitage vint à lui et tenta de le réconforter. Balin lui raconta ce qui s’était
passé. « Ma peine serait allégée, dit-il, si j’avais pu voir celui qui a
accompli ces actions mauvaises. Mais c’est là, je pense, une chose impossible, car
j’ai eu affaire à un fantôme, et c’est ce qui redouble ma douleur ! – Tout
chevalier errant, répondit l’ermite, se doit de prendre les aventures comme
elles arrivent, bonnes ou mauvaises. Je suis toutefois très surpris par ce qui
vient de t’arriver. Tu ne me parais cependant pas un homme à te laisser abattre,
en quelque circonstance que ce soit, et tu me sembles capable de retrouver ton
courage et ta sérénité. Il n’a pas un noble cœur, celui qui se laisse ainsi
décourager par les caprices du sort. »
L’ermite, à force de bonnes paroles, parvint à apaiser et à
réconforter Balin. Il le conduisit ensuite dans son ermitage et l’aida à se
désarmer.
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