Les chevaliers de la table ronde
qu’à
me prendre mon pucelage. Est-ce vraiment le moment ? Et puisque tu m’as
raconté cette touchante histoire, tu devrais maintenant me montrer la chambre
dont tu m’as parlé, celle qui fut construite pour les deux amants. J’aimerais y
évoquer l’amour sincère que ces deux êtres ont vécu. »
Tout heureux de cette demande, car il savait bien qu’elle
finirait par accéder à son désir, Merlin lui répondit qu’il allait lui montrer
la chambre immédiatement, puisqu’elle se trouvait tout près de là. Il alluma
une torche et conduisit Viviane sur un sentier, à l’écart du grand chemin. Ils
arrivèrent peu après au pied d’un rocher élevé et, là, ils aperçurent une porte
de fer assez étroite. Merlin l’ouvrit sans aucune difficulté et pénétra dans la
pièce, suivi de Viviane. La jeune fille, ébahie, découvrit alors une chambre
entièrement décorée de mosaïques si habilement exécutées qu’on aurait pu croire
que le meilleur artiste du monde y avait travaillé pendant vingt ans. « Que
c’est beau ! s’écria-t-elle. On voit bien qu’elle n’a été conçue que pour
le plaisir et la joie !
— Ce n’est pas là leur chambre, dit Merlin. C’est
seulement la salle où ils se restauraient et se divertissaient. Je vais maintenant
te montrer leur chambre d’amour. » Il s’avança dans le fond de la salle et,
faisant jouer un habile mécanisme, il découvrit une petite porte également en
fer. Sans hésiter, il la poussa et l’ouvrit, passa à l’intérieur et éleva la
torche pour donner de la lumière. « Viens voir, douce Viviane. Voici la
chambre des deux amants et l’endroit où reposent leurs corps. » Viviane
entra. Elle n’avait jamais rien vu de plus beau : la pièce était encore
plus décorée que l’autre, avec un art d’une extrême finesse. « N’est-ce
pas qu’elle est belle, murmura Merlin. Elle est à l’image de la beauté de ceux
pour qui elle a été construite ! »
Alors, il désigna à la jeune fille, tout au fond de la
chambre secrète, une très belle tombe recouverte d’une étoffe de soie rouge, magnifiquement
brodée de fils d’or et de figures d’animaux. « C’est là, dit encore Merlin,
sous cette dalle, que dorment de leur sommeil éternel ceux qui se sont tant
aimés. » Il souleva l’étoffe, découvrit la dalle qui était de marbre rouge.
« Ah ! Merlin, s’écria Viviane, comme cette retraite est belle, et comme
elle est faite pour deux amants ! Ne pourrait-on pas soulever cette dalle ?
– Non, dit Merlin. Mais puisque tu le désires, je vais quand même y parvenir. Toutefois,
je te conseille de ne pas regarder à l’intérieur de la tombe : des corps
qui sont restés si longtemps en terre ne sauraient qu’être effrayants à voir. –
Soulève cette dalle », lui dit Viviane.
Merlin fit usage de toute sa science magique. Il posa la
main sur la dalle. Il aurait bien fallu dix hommes pour la soulever, tant elle
était lourde et massive. Cependant, par la force magique qui émanait de lui, Merlin
réussit à la prendre comme s’il s’agissait d’une simple planche et à la déposer
le long du cercueil. La jeune fille se pencha alors sur le bord de la tombe et
aperçut les deux corps ensevelis dans un linceul blanc. Mais en dehors du
linceul, elle ne put distinguer ni les corps ni les têtes des amants. « Merlin,
dit-elle, comprenant qu’elle ne pourrait rien voir de plus, tu m’en as tant dit
sur ces deux amants que, si Dieu me prêtait un instant ses pouvoirs, je t’assure
que je réunirais leurs âmes dans la joie éternelle. – Voilà une pensée digne de
toi », murmura Merlin.
Il remit la dalle à sa place et la recouvrit de l’étoffe de
soie. Puis ils sortirent de la chambre dont Merlin referma soigneusement la
porte. « Personne ne doit revenir ici, dit-il, et personne à part toi ne
doit savoir la vérité à ce sujet. Que ces âmes soient en paix pour l’éternité. »
Ils sortirent de la salle et se retrouvèrent dans la nuit. La torche s’était
éteinte et l’obscurité était plus profonde que jamais. Viviane frissonnait. Merlin
la prit par la main et la conduisit le long du sentier jusqu’à leur campement
où quelques braises brillaient encore dans le foyer qu’ils avaient allumé. Cette
nuit-là, Viviane se donna entièrement à Merlin et les deux amants s’endormirent
alors que l’aube colorait de rose le ciel qu’on apercevait à travers les
branches d’un
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