Les chevaliers de la table ronde
quand
Merlin arriva. Il contempla longtemps les deux corps. « Je ne pouvais rien
empêcher, murmura-t-il, il fallait que tout se passât ainsi. »
Merlin creusa une fosse dans le sol de l’île et il y plaça
les corps des deux frères. Après quoi, il déplaça une grosse dalle et en recouvrit
la tombe. Et sur cette tombe, il écrivit : « Ici reposent Balan et
son frère Balin le Sauvage. Celui-ci fut le Chevalier aux deux Épées qui frappa
avec la lance vengeresse le coup douloureux par lequel le royaume de Listenois
fut plongé dans la misère et la désolation. » Puis il prit l’épée de Balin,
et d’un coup sec il la planta dans la dalle qui recouvrait la tombe des deux
frères en murmurant : « Cette épée ne pourra être enlevée que par le
Bon Chevalier, celui qui mettra un terme aux aventures du royaume. » Et, le
cœur plein de tristesse, il s’éloigna sans regarder derrière lui [131] .
12
Le Testament de Merlin
Quand Merlin fut de retour à Kaerlion sur Wysg, il prit le
roi Arthur à part et lui raconta ce qui était advenu de Balin le Sauvage, le
Chevalier aux deux épées. « Hélas ! dit Arthur, je ne me consolerai
jamais de la perte de celui qui était le meilleur chevalier du monde ! – Il
ne l’était pas, reprit Merlin, mais il le croyait, et c’est ce qui l’a perdu. Non,
roi Arthur, sache-le bien : le meilleur chevalier du monde vient de naître,
et un jour il viendra te trouver et il te faudra l’accueillir selon ses mérites.
Mais s’il contribuera grandement à ta gloire, s’il fera briller l’honneur des
compagnons de la Table Ronde, il sera aussi la cause de bien des tourments. Roi
Arthur, les choses ne sont jamais simples et les hommes ne sont ni bons ni
méchants : tes compagnons sont des créatures de Dieu avec toutes les faiblesses
de leur condition humaine. Et celui dont je te parle sera certes le meilleur
chevalier que tu aies jamais vu, mais ce sera aussi le plus faible de tous les
hommes. »
Le roi demanda : « Quel est le nom de ce chevalier,
Merlin ? – Je ne peux te le dire, répondit Merlin, mais tu le reconnaîtras
facilement et tu feras tout pour le retenir à ta cour, même au prix de la pire
des humiliations. Sache cependant qu’il est fils de roi et que de lui naîtra le
Bon Chevalier, celui qui vengera le coup douloureux et mettra fin aux aventures du Saint-Graal. Apprends enfin que je vais te
quitter, roi Arthur, et que je ne reviendrai plus jamais à ta cour. – Comment ?
s’écria le roi. N’es-tu pas à ta place parmi nous ? Tu es le plus sage des
hommes et chacun te reconnaît à ta juste valeur. Tu es aussi indispensable que
moi à ce royaume. – Nul n’est indispensable, répondit Merlin, et je le suis
encore moins que les autres. » Arthur était atterré par ce que venait de
dire Merlin. Il prit le devin par le bras : « Merlin, dit-il encore, que
vais-je devenir sans toi, sans tes sages conseils, sans ta connaissance des
secrets du monde ? – Roi, répondit froidement Merlin, tu es maintenant
adulte et tu sais parfaitement guider un royaume dans la justice et l’harmonie.
– Certes, mais tant de dangers m’environnent ! Et cet enfant maudit que j’ai
engendré, comment vais-je faire pour combattre ses méfaits ? – Tu ne le
peux pas, roi Arthur. Il doit en être ainsi. Personne n’échappe à son destin. –
Mais pourquoi veux-tu partir ? » insista encore Arthur.
Merlin le regarda bien en face. « Roi, dit-il, je ne
suis pas ton père, mais c’est moi qui ai présidé à ta conception et à ta naissance.
C’est moi qui ai conduit le roi Uther dans la forteresse de Tintagel pour que
tu sois engendré dans le sein de la reine Ygerne. C’est moi qui t’ai porté dans
mes bras, alors que tu venais de naître, et qui t’ai emmené chez le preux et
loyal Antor qui t’a élevé avec tant de tendresse et de bon sens. C’est moi qui
t’ai conduit vers le perron merveilleux et t’ai fait arracher l’épée de
souveraineté du socle de pierre dans lequel elle était fichée. C’est moi qui t’ai
fait reconnaître, par tous les barons de ce royaume, comme l’héritier légitime
du roi Uther. C’est moi qui t’ai fait renouveler la Table Ronde que j’avais
instituée avec ton père. C’est moi qui t’ai révélé que tes compagnons se lanceraient
dans de grandes aventures pour retrouver le Saint-Graal et détruire les
enchantements qui pèsent sur la Terre Foraine. C’est moi qui t’ai fait
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