Les chevaliers de la table ronde
pays des Saxons. Mais
les temps ont changé. Aujourd’hui, vous refusez de reconnaître pour votre roi
celui que Dieu a désigné, et le malheur s’est abattu sur le royaume. Il faut
vous en prendre à vous-mêmes, seigneurs. Moi, je ne peux rien contre votre mauvaise
volonté. »
Le roi Loth se fit l’interprète des onze. « Que faut-il
donc que nous fassions ? » demanda-t-il. Merlin prit la parole et dit :
« Seigneurs, le moment est venu de tout perdre ou de tout gagner. Si Dieu
ne vous aide pas, le royaume de Bretagne sera soumis à la honte et à l’esclavage.
Or Dieu ne vous aidera que si vous reconnaissez vos torts et si vous acceptez
de prononcer le serment de fidélité envers votre seigneur légitime, le roi
Arthur. Car je vous l’affirme : la défaite ne pourra être évitée que si
vous faites la paix avec le roi Arthur. » Ce discours ne faisait pas plaisir
à tout le monde. « Comment pourrions-nous prêter l’hommage lige à un
bâtard dont nous ignorons les origines ? » demanda Uryen. Merlin se
mit à rire et dit : « Roi Uryen, tu as la mémoire courte ! Tu
disais presque la même chose à propos du roi Uther, et cela à cause de ton
orgueil. Pourtant, tu as fait la paix avec lui et tu l’as servi fidèlement pour
le bien de tout le royaume. » Uryen se sentit très gêné, mais il dit
encore : « Merlin, puisque tu as la connaissance des choses secrètes,
dis-nous qui est Arthur. Si ta réponse peut nous convaincre, nous pouvons t’assurer
que nous serons tous les fidèles vassaux de notre roi. – Ce n’est pas encore le
moment, répondit Merlin. Ce serait trop facile. Peu vous importe de savoir qui
est Arthur alors que le royaume est en péril et que les ennemis menacent de
vous tuer ou de vous réduire en esclavage. Rendez hommage à votre roi légitime
et je m’engage, quand le moment sera venu, à vous dévoiler le secret de la
naissance d’Arthur. »
Les onze rois se mirent à l’écart et se concertèrent. Puis
ils revinrent vers Merlin. « Nous te faisons confiance, Merlin. Nous
acceptons de reconnaître Arthur comme notre souverain légitime à condition que,
le jour venu, tu nous révèles la vérité à son sujet. – C’est bien, répondit
Merlin. Allez donc trouver le roi et agissez en conséquence. Mais je n’irai pas
avec vous et vous demande de ne pas parler de moi. C’est de vous-mêmes que vous
devez faire votre paix avec Arthur. » Et Merlin disparut. Alors les onze
rois s’en allèrent jusqu’à la tente d’Arthur et, les uns après les autres, ils
s’agenouillèrent devant lui, lui prêtant l’hommage qui est dû par un vassal à
son seigneur. Et à chacun d’eux, Arthur confirma les possessions qu’ils avaient
et les titres dont ils étaient honorés. Quand cela fut fait, Arthur dit :
« Seigneurs, vous savez que je ne suis pas encore chevalier. Je demande l’honneur
d’être armé chevalier par l’un d’entre vous. » Les onze se regardèrent et,
après un court échange, il fut décidé que le roi Uryen aurait cet honneur. Arthur
s’agenouilla devant le roi de Reghed, les mains jointes, et Uryen, lui mettant
le plat de son épée sur l’épaule, accomplit le rite au milieu d’un grand
silence. Après quoi, les deux hommes se donnèrent l’accolade et chacun rentra
sous sa tente pour se reposer avant la bataille qu’il savait décisive pour le
royaume de Bretagne.
Le matin fut très clair et radieux. Dans l’herbe épaisse qui
n’avait pas encore été fauchée, les chevaux entraient jusqu’au ventre. Dans les
arbres en fleurs, les oiseaux chantaient matines. Les enseignes d’or, d’argent
et de soie frémissaient dans la brise légère ; et le soleil faisait
flamboyer l’acier des heaumes et des lances, et luire les peintures éclatantes
des boucliers. Arthur allait en tête de l’armée sur un grand cheval au pelage
blanc. Lorsqu’il aperçut les Saxons qui s’avançaient à la rencontre des Bretons,
il cria de toutes ses forces : « Seigneurs, l’heure est venue de
montrer vos prouesses, et que Dieu vous ait en sa sainte garde ! »
Aussitôt, les barons lâchèrent le frein et éperonnèrent
leurs montures Ainsi commença la fière et merveilleuse bataille entre les
Bretons et les Saxons, devant la ville de Clarence. Le froissement des lances, le
bruit des boucliers heurtés, le martèlement sourd des masses, le cliquetis des
épées, tout cela s’entendit dans tout le pays, jusqu’à la mer.
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