Les chevaliers de la table ronde
cerf et on lança les chiens sur lui. Le roi
se lança à sa poursuite, avec ses compagnons, et, grâce à son bon cheval, il
eut tôt fait de distancer les autres. Bientôt, il eut deux bonnes lieues d’avance
sur eux et il les perdit complètement de vue. Il continua malgré tout sa
poursuite jusqu’au moment où son cheval, épuisé, tomba mort sous lui, le
laissant tout désemparé, à pied, très loin de ses hommes et ne sachant pas
exactement où il se trouvait. Le cerf, lui, s’éloigna à vive allure et disparut
dans la forêt, mais le roi suivit la trace qu’il avait laissée, persuadé que
ses gens allaient bientôt le retrouver, croyant qu’il avait réussi à s’emparer
de la bête. Mais, plus il avançait, plus il se voyait perdu et isolé. À la fin,
épuisé, en sueur, incapable de poursuivre son chemin, il prit le parti de s’asseoir
auprès d’une fontaine qui jaillissait au milieu de la verdure. Et là, son rêve
de la nuit précédente lui revint en mémoire.
Mais il avait beau réfléchir sur les images terrifiantes qu’il
avait vues durant son sommeil, il ne parvenait pas à en comprendre le sens. Et
cela le tourmentait. Il en était là de ses méditations quand il vit surgir près
de lui un enfant au visage souriant, qui devait être âgé de quatre ans à peu
près. L’enfant s’arrêta devant lui et le salua courtoisement. « Que Dieu
te bénisse, mon garçon ! dit Arthur en relevant la tête. Qui es-tu donc et
que viens-tu faire en cet endroit désolé ? – Je suis un enfant d’un pays
lointain, répondit-il, et je suis tout surpris de te voir ainsi préoccupé. À
mon avis, un homme de mérite ne doit pas se tourmenter pour une chose à
laquelle il peut remédier. »
Arthur était stupéfait du ton qu’employait l’enfant pour lui
parler, et surtout de la sagesse de son propos. « Mon garçon, reprit-il, personne,
en dehors de Dieu, ne peut me donner un conseil sur ce qui me préoccupe, du
moins je le pense. – Pourtant, répondit l’enfant, je peux t’affirmer que je
sais tout sur ce qui te préoccupe comme sur tout ce que tu as fait aujourd’hui
avant de te retrouver ici, près de cette fontaine. Comme il en faut peu, seigneur,
pour te troubler, alors que tout ce que tu as vu en rêve doit arriver ! Telle
est la volonté du Créateur, et si, dans ton rêve, tu as vu ta mort, tu ne dois
pas t’en émouvoir, car la mort est la chose du monde la mieux partagée. »
Et comme le roi, bouleversé par les paroles qu’il entendait, demeurait interdit,
l’enfant continua : « Je vais t’étonner davantage, car je vais te
raconter ton rêve de cette nuit. » Alors, sans plus attendre, il décrivit
le songe qui avait tant effrayé Arthur.
« Mais tu n’es pas un être humain ! s’écria le roi.
Il faut que tu sois un diable, ou même Satan en personne ! Car jamais nul
être humain n’aurait pu connaître ainsi, dans les moindres détails, ce que j’ai
vu en songe cette nuit ! » Et Arthur se signa. Mais l’enfant se mit à
rire et dit : « Voilà bien le sens commun des hommes lorsqu’ils se
trouvent face à ce qui est incompréhensible ! Ce n’est pas parce que je te
révèle des choses cachées que tu as quelque droit à prétendre que je suis un
diable ! Or, je vais te démontrer que c’est toi qui es un diable, un
ennemi de Notre Seigneur, le chevalier le plus perfide de ce pays. Tu te nommes
Arthur. Tu as été sacré roi de ce pays de Bretagne. Cet honneur, cette dignité,
cette mission, tout cela t’a été conféré par la grâce de Jésus-Christ, et non
autrement. Mais toi, Arthur, je t’accuse d’avoir commis un horrible forfait, à
savoir que tu as connu charnellement ta propre sœur et que tu as ainsi engendré
un fils à cause de qui, comme Dieu le sait de toute éternité, de grands maux s’abattront
sur cette terre et provoqueront ta mort ! »
Le roi s’était levé, le visage courroucé. Il s’écria :
« Vrai diable que tu es, tu ne peux apporter aucune preuve de ce que tu racontes.
Pour le faire, il faudra d’abord être sûr que j’ai une sœur et que je puisse la
connaître. Or je ne sais rien sur mes origines. Comment le saurais-tu, toi qui
me parles avec tant d’arrogance, toi que je rencontre pour la première fois ?
– Tu te trompes pourtant, répondit l’enfant. J’en sais sur ce point beaucoup
plus long que toi ou n’importe qui en ce royaume. Je sais qui sont tes parents
et qui sont tes sœurs, car tu
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