Les chevaliers de la table ronde
et
invectiva Cadoc : « Tu m’as trompé ! cria-t-il à l’intention de
Cadoc. – Pas du tout, répliqua l’abbé. Tu m’as demandé un troupeau de vaches à
moitié rousses et à moitié blanches : je te l’ai amené, comme chacun peut
ici en témoigner. Ce n’est pas ma faute si tes hommes, par je ne sais quelle
magie, ont transformé tes vaches en touffes de fougères. » Et Cadoc se
retira dignement avec ses moines. Arthur, de plus en plus furieux, était prêt à
franchir le gué, mais Merlin, qui s’était approché, et qui riait de tout son cœur
de cette aventure, lui dit : « Arthur ! tu as la fougue de la
jeunesse, et c’est très bien ! Mais il n’est pas bon de se laisser aller à
la colère sans reconnaître ses torts ! Cadoc a voulu te donner une leçon :
il t’a signifié que le pouvoir du roi s’arrêtait à la porte de la maison de
Dieu. Je souhaite que tu t’en souviennes tant que tu seras le souverain maître
de ce royaume. Et la seule chose que tu puisses faire à présent, c’est d’accepter
les limites de ton pouvoir. » La voix de Merlin était pressante, impérative,
et Arthur comprit bien que le devin, qu’on disait pourtant fils du diable, ne
supporterait pas qu’on pût nier la compassion divine à l’égard d’un pécheur
quel qu’il fût. Il se calma instantanément, et il envoya même un messager pour
dire à Cadoc qu’il confirmait que Ligessoc serait en sécurité dans le monastère
de Llancarfan pour une durée de sept ans et sept jours [35] .
Cependant, Arthur avait bien d’autres préoccupations. Peu de
temps auparavant, l’un de ses compagnons, Gweir, fils de Gweiryœdd, avait été
envoyé en mission en Irlande pour assurer les rois de cette île des bonnes
intentions d’Arthur à leur égard. Or Gweir, pendant son voyage vers l’Irlande, s’était
arrêté dans une île sur laquelle on racontait bien des choses incroyables, en
particulier à propos d’un chaudron qui cuisait une nourriture inépuisable. Or
Gweir n’était pas revenu, et Arthur décida qu’il irait lui-même à sa recherche.
Aussi embarqua-t-il ses hommes sur son navire, et, quelques jours plus tard, ils
abordèrent tous dans une île perdue en pleine mer. Sur cette île se dressait
une forteresse d’aspect redoutable et dont les quatre côtés semblaient défier
les horizons. Aussi l’appelait-on Kaer Pedryfan, c’est-à-dire la « Cité
quadrangulaire ». Mais d’autres disent qu’elle se nommait Kaer Sidhi, la « Cité
de la Paix ».
Arthur et ses hommes eurent beaucoup de mal à franchir les
murailles de cette forteresse. Mais, quand ils furent à l’intérieur, ils
découvrirent le malheureux Gweir, qui était enchaîné dans une sombre prison et
qui gémissait tristement sur son sort. Jamais personne n’avait pu pénétrer, avant
lui, dans cette étrange cité dont le maître était un certain Penn Annwfn, que
certains appelaient aussi Diwrnach le Gaël, et d’autres Pwyll, l’époux de la
cavalière Rhiannon, qui rôdait parfois la nuit dans toute l’île de Bretagne
pour attirer ceux qui ne dormaient pas dans une chasse fantastique. Ce Penn
Annwfn possédait en effet un chaudron extraordinaire qui avait cette vertu :
lorsqu’on se penchait sur lui et qu’on en respirait les vapeurs qui en
émanaient, on connaissait toutes les choses secrètes et cachées. Le barde Taliesin,
qui accompagnait Arthur dans cette expédition, en fit l’expérience, après quoi
il se mit à chanter d’étranges complaintes sur la création du monde, sur la
puissance des arbres et des végétaux, sur la position des étoiles dans le firmament.
Ce chaudron avait aussi une autre vertu, non moins extraordinaire : il
pouvait rassasier de nombreuses compagnies sans qu’on y remît quelque chose à
bouillir, car son contenu était inépuisable. Mais si un homme lâche essayait d’y
puiser une part de nourriture, si minime fût-elle, il n’y trouvait rien d’autre
que du vide et sa faim demeurait insatisfaite.
Ce chaudron était gardé et surveillé en permanence par neuf
jeunes filles d’une grande beauté : elles avaient pour fonction de ne
jamais laisser s’éteindre le feu qui brûlait au-dessous. Elles étaient neuf sœurs.
On ne savait pas qui elles étaient, ni d’où elles venaient, mais il y avait
dans cette forteresse une femme qui les surpassait en beauté et en sagesse et
qui était leur maîtresse toute-puissante : on lui donnait le nom de Modron.
Elle
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