Les chevaliers de la table ronde
connaissait la plupart des secrets de la nature et savait parfaitement
transformer son propre aspect et celui des êtres et des choses. On prétendait
même qu’elle avait le pouvoir de se transformer en oiseau et de parcourir le
monde pour y pénétrer les cœurs et les consciences.
Ayant donc réussi à pénétrer dans la forteresse et à
délivrer le malheureux Gweir, Arthur et ses compagnons se trouvèrent alors en
présence de Penn Annwfn. Celui-ci, reconnaissant la hardiesse et la valeur des
survenants, se mit en devoir de les accueillir du mieux qu’il pût. Il leur fit
servir un festin magnifique au cours duquel on leur donna à boire un vin
brillant contenu dans un vase que portait une jeune fille magnifique au milieu
d’un étrange cortège dont tous les participants étaient revêtus de soieries
multicolores de très grand prix [36] . Mais lorsqu’ils eurent
suffisamment mangé et bu, Arthur demanda à son hôte de bien vouloir lui céder, moyennant
des compensations, le chaudron merveilleux qui excitait tant sa convoitise [37] .
Mais Penn Annwfn refusa tout net, disant qu’il ne pouvait pas se défaire de ce
chaudron sans l’avis ou l’invitation d’Odgar, le roi d’Irlande, son ami et son
allié. Sur ce refus, Bedwyr se leva et, sans dire un mot, se saisit du chaudron
et le mit sur les épaules d’Hygwydd, serviteur d’Arthur, dont la fonction était
de porter le chaudron du roi et d’allumer le feu dessous pour rassasier les
hôtes qui se présentaient à la cour.
Ce geste provoqua une bataille impitoyable entre les gens d’Arthur
et ceux de Penn Annwfn. Celui-ci fut tué, et tous ses serviteurs avec lui, mais
Modron et les neuf filles qui gardaient le chaudron furent épargnées. C’est
alors que débarquèrent les gens d’Irlande, sous la conduite de leur roi Odgar, qui
était l’allié de Penn Annwfn, et qui venait le venger. Ils envahirent l’île et
combattirent durement les hommes d’Arthur. Ceux-ci se trouvèrent en très
mauvaise posture, car ils étaient bien inférieurs en nombre. Arthur avait beau
se défendre avec Excalibur, il voyait ses compagnons succomber autour de lui. Tous
avaient péri, sauf sept, et c’est Modron qui leur indiqua le moyen de s’enfuir
par un passage secret, ce qui leur permit de regagner leur navire. Mais en
compensation, Modron demanda à Arthur qu’il s’engageât à délivrer son fils
Mabon, qui lui avait été enlevé la troisième nuit de sa naissance. Personne ne
savait par qui il avait été enlevé, ni où il se trouvait. Néanmoins, Arthur fit
le serment que, quoi qu’il pût arriver et quand le moment serait venu, il
ferait en sorte de délivrer Mabon de sa prison.
C’est ainsi qu’Arthur et les siens purent échapper au massacre.
Mais alors qu’ils étaient venus très nombreux sur le navire d’Arthur, ils ne
furent que sept à revenir de cette expédition lointaine, parmi lesquels Bedwyr,
Kaï, Gweir et le barde Taliesin. Ce dernier, sur le navire qui les ramenait en
Bretagne, composa une lamentation sur le sort de leurs malheureux compagnons :
« Trois fois plein son navire, nous partîmes avec Arthur, en cette noble
entreprise ! Sauf sept, personne ne revint de la citadelle des hauteurs [38] … »
Comme le navire fendait rapidement les vagues à travers la
profonde mer parcourue par des vaisseaux trop nombreux pour être comptés, vers
la minuit, Arthur tomba dans un lourd sommeil. Et, pendant ce sommeil, il vit
un ours qui volait à travers les airs. Aux grognements de l’ours, tous les
rivages tremblaient. Arthur aperçut aussi un terrifiant dragon qui semblait
venir des régions où le soleil se couche. Ce dragon était hideux, et il illuminait
l’horizon par la clarté intense qui émanait de ses yeux. Le dragon allait à la
rencontre de l’ours, et quand les deux monstres furent en présence, il y eut un
combat fantastique. Le dragon attaqua l’ours plusieurs fois, le brûlant de son
haleine embrasée, mais l’ours résistait avec l’énergie du désespoir. Finalement,
le dragon, ayant eu raison de son adversaire, jeta son corps brûlé et écorché
sur le sol. Arthur s’éveilla alors, très impressionné par le songe qu’il venait
de faire. Il le décrivit à ses compagnons, regrettant que Merlin ne fût pas là
pour le lui expliquer. Ils l’interprétèrent en disant que le dragon était
lui-même et que l’ours était quelque géant qu’il aurait certainement à combattre
dans les jours qui
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