Les chevaliers de la table ronde
de son bouclier, s’efforça de faire
lâcher son arme au géant. Il y parvint, et la massue heurta le sol avec un
bruit sourd. Mais le géant ne fut pas pris au dépourvu. Il se précipita sur
Arthur, tel un sanglier qui bondit sur sa proie, la défense en avant, le visage
ruisselant de sang, poussant des cris affreux. Il saisit Arthur par le milieu
du corps, le forçant à s’agenouiller. Arthur rassembla toutes ses forces et, avec
beaucoup d’agilité, il réussit à se glisser hors de l’étreinte du géant. Et, se
redressant, rapide comme l’éclair, il frappa le géant trois fois avec son épée
sur la tête, juste à l’endroit où la cervelle était protégée par le crâne. La
créature démoniaque poussa un terrible rugissement et s’abattit sur le sol dans
un fracas épouvantable, comme lorsqu’un chêne est déraciné par la tempête.
Quand ils entendirent le bruit, Bedwyr et Kaï grimpèrent en
hâte sur le sommet du Mont. Là, ils virent le corps immobile du géant et le roi
Arthur qui, assis sur un rocher, son épée Excalibur encore toute sanglante à la
main, reprenait sa respiration. Arthur leur demanda de couper la tête du
monstre et de l’envoyer au roi Hoël. Celui-ci, lorsqu’il apprit la nouvelle, et
bien qu’il fût chagriné par la mort tragique de sa nièce, félicita grandement
Arthur d’avoir pu vaincre celui qui avait terrorisé le pays et tué tant de
braves et honnêtes chevaliers. Puis il fit construire une chapelle sur le lieu
même où était enterrée la malheureuse Élen, sur la butte qui, depuis, porte le
nom de Tombelaine [42] .
Au même moment, on vint dire au roi Arthur qu’un autre
monstre désolait le pays de Bretagne armorique. C’était une bête étrange et merveilleuse
qui avait une tête humaine, un corps de serpent et une queue de poisson. Il s’était
creusé, au pied d’une falaise, non loin du rivage qu’on appelle aujourd’hui la
Lieue de Grève, un trou profond, une caverne mystérieuse qui, disait-on, communiquait
avec l’enfer. Dès que le soleil se levait dans le ciel, ce dragon sortait de
son antre, rampait sur le sable et soufflait sur le paysage environnant une
haleine de flammes et de fumées qui répandait au loin une insupportable odeur
de soufre.
Tous les ans, à la veille de Noël, il réclamait une proie humaine,
et non pas la première venue : il fallait en effet qu’elle fût de sang
royal. On la lui apportait à la tombée de la nuit, au pied du contrefort isolé
qui dominait la grève, à mi-chemin entre les paroisses de Saint-Michel et de
Plestin, et qui porte, depuis ce temps-là, le nom sinistre de Roc’h al Laz, c’est-à-dire
de Rocher du Meurtre. On était également tenu de lui livrer les corps de tous
les enfants morts avant d’avoir reçu le baptême.
Arthur décida qu’il tenterait de vaincre le monstre, et il entraîna
ses hommes avec lui pour aller sur le rivage de Plestin. Mais, vingt fois, lui
et ses compagnons durent s’enfuir en toute hâte, au triple galop de leurs
montures, devant les flammes infernales que projetait le dragon dans sa fureur
destructrice. Or, à cette époque, dans la région, vivait un ermite qui portait
le nom d’Efflam. C’était le cousin germain du roi Arthur. Un jour, Arthur
rencontra Efflam et fut tout heureux de le voir. Il lui mit ses bras autour du
cou et lui montra abondamment les marques de son estime et de son affection. Puis
il dit à l’ermite : « Mon cousin, ce que ni mes hommes ni moi n’avons
pu accomplir, je suis sûr que tu le pourras, car tu es un homme de Dieu. Je t’en
prie, délivre les habitants de ce pays du dragon qui est cause de tant de
ravages. – C’est bien, répondit Efflam. Conduis-moi à l’endroit où il se cache. »
Quand ils arrivèrent sur la Lieue de Grève, ils s’aperçurent
que l’antre du dragon était vide. Le monstre avait flairé la venue du saint
ermite et s’était réfugié dans un autre trou qu’on appelle maintenant Chapel
Kornik. « Il s’agit de le faire sortir de là », dit Efflam. Et, après
avoir réfléchi un moment, il dit à l’un des hommes qui accompagnaient Arthur :
« Dépouille-toi de tes vêtements et donne-les-moi. » L’autre obéit. Alors
Efflam déchira les habits en mille morceaux. Puis il cria devant l’entrée du
trou : « Ohé, serpent ! si vraiment tu es sorcier, fais-moi un vêtement
neuf avec ces haillons ! » Ce défi piqua au vif le dragon. Il mit
immédiatement le nez
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