Les chevaliers de la table ronde
avait envoyé.
« Quelle heureuse aventure ! s’écria la femme. Dieu
l’a voulu ainsi, j’en suis sûre, pour nous venir en aide, car, avec l’argent
que nous tirerons de ce berceau, nous pourrons vivre dans l’aisance pour au
moins vingt ans ! – Femme, reprit le pêcheur, cet enfant est de toute
évidence issu d’une très noble famille. Il faudra donc l’élever le mieux
possible, car si c’est la volonté de Dieu que ses parents le retrouvent, ils ne
pourront que nous en être reconnaissants et nous y gagnerons beaucoup. Or, il
est certain que ses parents remueront ciel et terre pour le retrouver. Aussi, je
suis d’avis de le porter tel quel au seigneur de notre pays. S’il apprenait en
effet que nous avons trouvé cet enfant et que nous ne le lui avons pas remis, il
pourrait bien nous mettre à mort, nous et notre famille. »
La femme se rangea à l’opinion de son mari. Tous deux prirent
donc l’enfant Mordret et le portèrent à la forteresse de celui qui régissait
tout le pays. Il se nommait Nabor le Noir, et il avait été l’un des premiers à
se rallier au roi Arthur quand celui-ci était rejeté par les barons rebelles. Il
avait un fils âgé de cinq semaines, qui portait le nom de Sagremor, lequel fut
plus tard compagnon de la Table Ronde et que l’on appela Sagremor le Desréé, c’est-à-dire
l’Impétueux. Nabor reçut l’enfant avec joie, persuadé, à voir ses riches
vêtements, qu’il était issu d’une noble et puissante famille. Il récompensa si
largement le pêcheur que celui-ci se tint pour très satisfait et ne regretta
jamais son action. Puis Nabor fit élever l’enfant avec son fils Sagremor, se
disant que si Dieu les laissait vivre jusqu’à l’âge d’être chevaliers, il les
adouberait ensemble.
C’est ainsi que fut sauvé Mordret qu’Arthur cherchait tant à
faire périr ou à faire disparaître. Nabor fit soigner la blessure que l’enfant
portait sur le front et découvrit, grâce à une lettre déposée dans le berceau, qu’il
se nommait Mordret. Mais il n’y avait aucune autre indication et rien qui pût
faire découvrir quelle était sa famille.
Cependant, Arthur avait regroupé dans ses tours tous les
nouveau-nés du royaume. Lorsque fut passée la date indiquée par Merlin, il
finit par se décider à les faire tuer tous. Ainsi périrait nécessairement l’enfant
par lequel le royaume devait être anéanti.
Mais, la nuit suivante, alors qu’il dormait, il sembla à
Arthur que venait vers lui, porté par quatre bêtes qu’il ne pouvait reconnaître,
l’homme le plus grand qu’il eût jamais vu. Et l’homme lui parlait ainsi :
« Roi, pourquoi te proposes-tu de commettre un si grand crime, toi qui as
décidé de mettre à mort des êtres saints et innocents que n’a pas encore
souillés la corruption du monde ? Sans aucun doute, le Créateur du Ciel et
de la Terre aurait mieux fait de ne pas t’accorder la grâce dont il t’a comblé,
toi qu’il a chargé d’être le guide de ce peuple ! Car tu es devenu un
criminel et un impie ! Que t’ont donc fait ces créatures que tu veux
mettre à mort ? Sache toutefois que si tu persistes dans ton projet, le
Tout-Puissant, qui t’a accordé le pouvoir dont tu es le dépositaire, tirera de
toi une vengeance si éclatante que toutes les générations futures en parleront
pendant des siècles ! »
Le roi se sentait bien mal en entendant ce discours. Il se
voyait regarder l’homme gigantesque, se demandant ce qui allait lui arriver. Mais
l’homme continua ainsi : « Je vais te dire ce qu’il faut faire pour
éviter de perdre ton âme dans une action infâme. Tu feras mettre les enfants
dans un navire. Ce navire sera sans pilote, mais il aura des voiles. Ensuite, tu
feras prendre le large au navire, et le vent l’emmènera où il voudra. Si les
enfants parviennent à échapper aux périls qui les menacent, ce sera la preuve
que Notre Seigneur les aime et qu’Il s’oppose à ce qu’ils soient mis à mort. Et
cette preuve doit te suffire, à moins que tu ne sois le plus grand criminel du
monde ! » Le roi s’entendit répondre : « Assurément, j’agirai
ainsi, car c’est une excellente manière de me venger. – Qui te parle de
vengeance ? s’écria l’homme gigantesque. De quoi veux-tu te venger ? C’est
pour expier ta faute que tu veux la laver dans le sang des innocents ? Ces
enfants ne t’ont rien fait de mal, ni à toi ni à autrui ! C’est seulement
le
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